mardi 14 mai 2024
Les tanins

Tout d’abord les tanins, c’est plus compliqué que les anthocyanes. Les tanins, molécules très complexes, sont divisés en deux types : les tanins éllagiques et les tanins condensés.

Les tanins éllagiques se trouvent un petit peu dans le raisin. Par contre, ils sont présents dans le bois, en particulier dans le chêne de tonnellerie. Ils ont une structure très différente des tanins du raisin. Quand on vous dit que le vin a une structure tannique peu suffisante et qu’on va prendre des tanins du bois, ça n’a rien à voir. Il faut faire très attention.

Les tanins condensés comme son nom l’indique sont des molécules polymérisées qu’on trouve dans le raisin. Ces tanins condensés ont une structure toute particulière dans les pépins et dans la rafle. Par contre, ces molécules sont présentes dans la pellicule et la pulpe. Ces molécules sont extraites lors de la vinification et présentent des propriétés intéressantes de réactivité, surtout sur le plan gustatif. Une de leurs propriétés est de stabiliser la couleur. Seuls les tanins du raisin peuvent stabiliser la couleur.

Dans un vin, certains constituants apportent des odeurs, des caractères sucrés voire des caractères désagréables, des caractères d’amertume, d’acidité, de dureté, d’astringence.

L’astringence

Qu’est-ce que l’astringence ? C’est une relation entre les tanins et les protéines de la salive. Il y a blocage salivaire. Ce blocage peut apparaître rapidement, c’est-à-dire pendant la dégustation et après la dégustation.

Commençons par la base. On comprend ainsi que le tanin se trouve dans la peau, la rafle et les pépins. Le tanin est l’apanage des vins rouges. Il constitue leur structure, leur colonne vertébrale.

La vinification la plus usuelle en rouge est en sec. Elle peut toutefois, selon les cépages et sa conduite, donner des vins moyennement colorés et légers, peu colorés et très aromatiques, voire plus colorés et corsés.

Tanin astringence 2

Les vins blancs proviennent à 99 % de raisins blancs alors que la plupart des raisins noirs ont un jus blanc. Il est donc possible de faire un vin blanc avec des raisins noirs s’il n’y a pas de macération des peaux avec le jus (Champagne). En ne laissant les peaux en contact avec le jus que quelques heures, le vinificateur obtiendra un vin rosé. Chaque cépage confère une intensité de couleur qui lui est propre.

Par exemple, le cinsault donnera une teinte pâle plus proche du rosé que du rouge. Le pinot noir aura une robe claire et brillante. Le cabernet sauvignon sera foncé alors que le tannat et le malbec procurent des teintes noires, pourpres. Le vinificateur décide de la couleur du vin en début de fermentation alors que le liquide est en phase jus, peu marqué par l’alcool.

La macération

Par contre, le vinificateur obtient un vin souple, sans tanin ou presque en limitant la durée de macération, c’est-à-dire le contact des peaux avec le vin. Notons qu’à ce moment, l’alcool favorise l’extraction du tanin. Le tanin est extrait alors que le liquide est en phase vin. Chaque cépage confère une richesse en tanin qui lui est propre. Plus important encore, les conditions climatiques, et surtout le moment décidé pour la vendange, déterminent la qualité et la maturité du tanin.

Vendangés trop tôt, les tanins apportent un caractère végétal, un caractère pointu, voire astringent, au vin. Vendangé en surmaturité, le vin est non seulement plus généreux en alcool, il risque de manquer d’acidité alors que le tanin sera gommé et manquera de fermeté. L’ensemble manquera de nerf, de structure.

Dans ce dernier cas, prenons l’exemple du cabernet sauvignon, raisin dominant dans la majorité des assemblages du Haut-Médoc à Bordeaux. Planté presque partout, il n’est pas à son mieux sous un climat méditerranéen, voire caniculaire. Si le vinificateur recherche des degrés d’alcool élevés, l’acidité et le tanin présenteront des lacunes. L’œnologie permet d’acidifier le vin afin de suppléer un manque. Comme le tanin réagit avec l’acidité, le milieu de bouche sera plat et déficient alors que la trame tannique risque de démontrer un caractère pointu et déséquilibré. À tout cela, j’omets volontairement la fermentation malolactique.

Le pinot noir n’a pas la même composition polyphénolique que le cabernet sauvignon. Si le cépage n’est pas aussi riche en couleur, le tanin est à peu de choses près similaire ; un petit peu moins, mais guère différent.

Par contre, la structure des différents pigments anthocyaniques est assez différente. Ce vin sera globalement plus vulnérable à l’oxydation que le cabernet sauvignon du Médoc, lui-même bien riche en tanins et en anthocyanes et à qui l’oxydation ne fait pas grand-peur.

L’éraflage

L’éraflage consiste à séparer la baie de raisin de son squelette, la rafle. Celle-ci se compose d’eau, de matières minérales et de composés phénoliques. L’éraflage (ou égrappage) est souhaitable, car il entraîne une modification quantitative et qualitative des composés phénoliques. Il permet une intensification de la couleur puisque la rafle fixe les anthocyanes de la pellicule tout en permettant d’éviter l’âpreté (astringence) par une élimination de composés phénoliques à caractères végétaux. L’éraflage est toujours recherché dans l’élaboration des vins fins. Si le vinificateur recherche des vins tanniques, il augmentera les durées de cuvaison et les températures de macération pour extraire le tanin de la pellicule.

Les tanins du raisin

En gros, les petites molécules de tanin du raisin sont acides. Provenant des pépins et de la pellicule, elles interviennent lorsqu’elles possèdent un caractère un peu plus acide, voire un peu végétal, tels des raisins insuffisamment mûrs. Les molécules de tanin du pépin sont petites et grosses.

Trop de molécules moyennes risquent d’apporter de l’astringence. En fonction de la maturité du raisin, les pépins libèrent des tanins de tailles différentes. Les tanins de pépin dans un grand cru bordelais ne sont pas les mêmes que ceux d’un Bordeaux simple. Puisque la maturité, la croissance et le terroir, qui interviennent beaucoup dans la maturité du raisin, diffèrent, nous comprenons que le résultat obtenu sera totalement distinct compte tenu de la matière première qui n’est pas la même.

Un même cépage, donc avec des anthocyanes similaires, produit ainsi de grands vins et de petits vins. Le tout vient de la nature des tanins. Le cortège tannique des pépins varie énormément selon la maturité. Le cortège tannique des pépins pour les mêmes raisins dans un même vignoble dans trois millésimes successifs sera différent. Ce qui explique de beaux millésimes sans ou avec peu de verdeur comparativement à une autre année plus fraîche ayant des tanins sévères et très rustiques. La constitution tannique des pépins n’est pas la même tous les ans.

Charnus, gras ou pleins

Jusqu’à présent, on n’a parlé que de charpente, de structure. Mais on n’a pas parlé de tanins souples, charnus, gras. Charnus, gras, pleins, ces termes définissent un remplissage à travers la même structure. Tout se passe comme si on avait un vin avec une structure, une ossature, une charpente bien définie qui tiennent parfaitement le vin, mais qu’on a emplies, qu’on a grossies.

alain tanins charnus

Une structure ronde, enveloppée, qui n’agresse pas les papilles. Tout ceci désigne la même chose : rond, charnu, plein, enrobé, gras. Si une personne est enrobée, c’est une personne qui possède quelques tissus adipeux permettant de masquer la structure osseuse. Lorsqu’on définit des tanins souples, des tanins ronds, des tanins gras, ça signifie autre chose.

Si nous n’avions que des pépins, ces caractères enrobés, charnus, pleins, gras n’existeraient pas. La difficulté, c’est de faire ce qu’il faut pour permettre d’avoir un assouplissement des tanins. Et c’est comme ça qu’on va trouver des vins charnus et gras parce qu’il y a, en plus des tanins qui donnent la structure, les tanins de la pellicule qui confèrent de l’enrobage.

Vin et fromage

Pour illustrer l’intervention de ces molécules, il suffit de déguster un vin astringent. On constate que ce vin présente une agressivité en fin de bouche. Il y a donc eu liaison entre les tanins et les protéines de la salive avec précipitations. Après avoir mangé un morceau de fromage relativement chargé en protéine (parmesan), vous regoûtez votre vin qui semble moins agressif. Ce sont les protéines du fromage qui tapissent la bouche. Les tanins ne peuvent plus réagir avec les muqueuses. De plus, les lipides contenus dans le fromage permettent d’arrondir le tout. Les protéines qui empêchent la réaction, plus les lipides, le vin est vachement bon.

Si quelqu’un (producteur, agent promotionnel, conseiller en vin) vous dit qu’à la mise en bouteilles le vin est astringent, mais que dans dix ans, il ne le sera plus, méfiez-vous. Il cache des choses ou il n’y connaît rien.

Le vin qui est astringent sera toujours astringent. Pourquoi ? Parce qu’effectivement on peut intervenir sur l’astringence pendant l’élevage. Un vin qui est astringent en début d’élevage, après la vinification, si on travaille bien, on peut diminuer l’astringence. Par contre en bouteille, il est trop tard. Le vin va s’amaigrir, le vin va devenir très creux. 

Alain Laliberté

À propos de l' auteur

Alain apporte une richesse de connaissances dans le monde du vin. Il est titulaire d’un diplôme universitaire en dégustation professionnelle de la Faculté d’œnologie de l’Université Bordeaux II et d’un certificat en gestion hôtelière de l’ITHQ. Il a également été stagiaire au Château Rauzan-Ségla à Margaux. Il a enseigné à l’ITHQ, à George Brown College et Humber College à Toronto ainsi qu’à l’École hôtelière de la Capitale à Québec... Lire la suite...