vendredi 19 avril 2024
En servant mon repas de Noël...

En servant mon repas de Noël...

C'était l'époque à laquelle mon père vivait encore, il y a 10 ou 15 ans. Mes enfants avaient à ce moment-là 4 ou 5 ans. Lors des soupers de famille, quand mes enfants arrivaient chez mes parents, mon père demandait à mes enfants ce qu'ils aimeraient mettre comme garniture dans leur bol de ramen. Puis, il énumérait la dizaine de choix possibles : boeuf en languettes, porc effiloché, crevettes, champignons enoki, etc. Mon père voulait laisser toute la liberté à mes enfants de 4 ou 5 ans de décider de ce qu'ils voulaient manger.

Mais moi, je n'étais pas content, vraiment pas, contre mon père. Mes enfants, je voulais absolument qu'ils mangent ce que je leur mettais dans leurs assiettes. Pas de choix possible, tu manges tout ce qu'il y a dans l'assiette, point final, pas de choix perso. Et c'est non négociable. Car je voulais que mes enfants soient le plus ouverts (et respectueux) envers la nourriture. Si c'est du homard, il faut en manger. Si c'est une huître ou un escargot, allez hop, goûtez et mangez sans discuter. Si c'est juste une pomme de terre bouillie, c'est la même chose aussi. C'était ma façon pour que mes enfants goûtent à tout. Et il paraît que ça marche. Lors des soupers avec des amis, j'avais une certaine fierté que mes enfants mangeaient tout ce qu'on leur servait.

Puis, à tous les grands repas, comme le repas de fête, une fois chez mon père, toutes ces habitudes foutaient le camp. Mon père offrait des choix, des dizaines de choix à mes enfants: «Que veux-tu mon chéri, qu'aimerais-tu que grand-papa mette dans ton bol?» Alors, immanquablement, les soirées de célébrations tournaient un peu au vinaigre et mon père et moi on se laissait sur un froid entre Noël et le jour de l'An.

Et maintenant, j'ai presque l'âge de mon père, qui nous a quittés depuis des années déjà. Lors des repas, c'est moi qui veux offrir une panoplie de choix à mes enfants, et à mes petits-enfants. Et je réalise que ce que mon père faisait, ce n'était pas contre moi, contre ma façon d'élever mes enfants, mais le fait d'offrir plein de choix; c'était sa façon de démontrer sa tendresse, son amour à ses petits-enfants.

En repensant à ces années où mon père nous recevait, une brise de regrets m'envahit. Pardon, père, je ne comprenais pas. Je ne voyais qu'un angle de la vie, la mienne. Tu m'as ouvert les yeux et je te comprends maintenant qu'il y a plein d'angles différents; il suffit d'être ouvert pour le saisir. Je voulais que mes enfants soient ouverts pour la nourriture, mais moi-même je n'étais pas ouvert à ta façon d'aimer mes enfants.

Alors... je vous montre ici mon repas de Noël. En m'inspirant de mon père, une variété de choix. Tu veux-ci, prends ci, tu veux ça, prends ça, à la façon d'aimer de mon père. Et ce fut une fondue où on s'est laissé aller, chacun selon ses goûts personnels, le temps d'une célébration.

FondueNoelDeux bouillons pour la fondue. Le rouge, c'est un bouillon aux piments. Et l'autre, c'est pour ceux qui sont moins téméraires envers les feux de l'enfer du goût.

Cong-Bon Huynh
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#seulaubaravecunebière

À propos de l' auteur

Il a été chef exécutif, chef corporatif, et maintenant chef enseignant. Mais il préfère se présenter tout simplement comme un cuisinier. Car pour lui, c'est le vrai titre pour quelqu'un qui vit avec la passion de la cuisine, dans son sens le plus large qui allie l'action de se nourrir avec les dimensions culturelles et sociologiques. Maîtrisant la cuisine occidentale aussi bien que la cuisine orientale, il est depuis les 15 dernières années, enseignant dans différentes grandes écoles hôtelières à Montréal, s'occupant minutieusement de la relève pour la cuisine au Québec. Lire la suite...