samedi 7 décembre 2024

La fée verte est de retour!

Je me suis entretenu avec Manfred Audard, l’homme qui connaît le mieux la Fée verte au Québec. 

RH –  La fée verte c’est le nom qu’on donnait à l’Absinthe autrefois. Racontez-nous l’origine de cette boisson alcoolisée et comment on la fabriquait.  

MANFRED AUDARD. –  L’Absinthe est une plante qu’on retrouve sous deux formes : la grande et la petite Absinthe. Considérée comme une plante médicinale depuis l’Antiquité, elle était utilisée pour soigner de nombreuses maladies : la grippe, la fièvre, les maux de ventre, l’épilepsie et bien d’autres. En Grèce, on lui attribue des vertus aphrodisiaques.  

À la fin du 18ème siècle, le docteur Pierre Ordinaire parcourt la région du Val-de-Travers et prescrit un élixir d’Absinthe à ses patients qui, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, guérissent. Il transmet la recette à la Mère Henriod qui la vend au Major Dubied qui crée la première distillerie d’Absinthe. C’est la naissance de l’Absinthe sous forme d’alcool.  

Comme le dit justement Nicolas Nyfeler, copropriétaire des Absinthes Larusée : « il est très facile de faire de l’Absinthe, par contre en faire une bonne, ce n’est pas donné à tout le monde ». Tout est une histoire de sélection d’ingrédients et de pesage.

L’Absinthe s’obtient en distillant les plantes d’Absinthe : la petite et la grande, auxquelles on ajoute différents aromates comme l’anis vert, l’anis étoilé, le fenouil, la coriandre. Dans la Larusée Bleue, il y a plus de 11 aromates différents, soigneusement triés par Jean-Pierre Candaux, maître distillateur.

RH – L’Absinthe a été extrêmement populaire en Europe jusqu’au début du Vingtième siècle. Quelles ont été les causes de sa déchéance et de sa prohibition pendant un siècle?

MANFRED AUDARD – Dans les années 1870, tout le monde consomme de l’Absinthe en France. C’est l’apéritif numéro 1 avec près de 80% des parts de marché. Des centaines de distilleries fleurissent en France, en majorité dans la région de Pontarlier, à la frontière Suisse. L’Absinthe est consommée par les hommes, les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les militaires, les bourgeois, les ouvriers, c’est une vraie mode.

À cette même époque, le vignoble français, et européen, est touché par le phylloxéra, un insecte qui détruit la vigne. L’offre de vin se raréfie et les prix de distribution augmentent. L’Absinthe en profite. Mais cet événement marquera sa fin.

Après avoir trouvé des solutions efficaces au phylloxéra, les vignerons s’inquiètent du succès grandissant de l’Absinthe et commencent à s’organiser pour la diaboliser. « L’Absinthe rend fou », « l’Absinthe va tuer nos enfants », des affiches apparaissent aux quatre coins de Paris mettant en garde contre les supposés effets néfastes de cet alcool. Les ligues hygiénistes prennent le relai et attribuent à la consommation d’Absinthe des faits divers sordides. La rumeur prend de l’ampleur et arrive jusqu’aux oreilles du gouvernement qui interdit la production d’Absinthe en 1915.

RH – Est-ce que l’Absinthe rend vraiment fou ?

MANFRED AUDARD – Absolument pas. Pour que la thuyone - la molécule en cause lors de l’interdiction de l’Absinthe - soit néfaste pour la santé, il faudrait consommer l’équivalent de 30 litres d’Absinthe pure par jour.  

Il est également pertinent de noter que la thuyone est naturellement présente dans la sauge, à des doses plus élevées que dans l’Absinthe sans que personne n’ait pensé à interdire sa consommation.

RH – Donc aujourd’hui l’Absinthe a réintégré la communauté des boissons alcoolisées permises par les départements de santé des principaux pays du monde. Quels sont les pays qui la fabriquent à nouveau?   

MANFRED AUDARD – Il est à nouveau légal de produire de l’Absinthe en France depuis 2010, qui reste avec la Suisse le plus gros producteur de cet alcool. On peut également retrouver des Absinthes tchèques, allemandes, suédoises.  

RH – Quel est le goût de l’absinthe et combien de types  on en trouve sur le marché?   

MANFRED AUDARD – L’Absinthe est une liqueur de plante avec des arômes proches de la Chartreuse. Il y a de l’anis qui va vous rappeler le pastis. Enfin, certains parallèles peuvent s’établir entre le Gin et l’Absinthe car on y retrouve des aromates similaires.

On trouve sur le marché québécois des Absinthes blanches très désaltérantes, faciles à boire, surtout en été. On peut penser à la Larusée Bleue. Il est également possible de dénicher quelques Absinthes vertes, obtenues par macération: après la distillation, on plonge un bouquet de plante dans une Absinthe blanche, c’est à ce moment que l’Absinthe prend la couleur verte suite au transfert de chlorophylle. La Larusée Verte, Coq Vert ou encore la Valkyria sont d’excellentes Absinthes vertes.

RH – Vous êtes un consommateur d’Absinthe, quel est son degré d’alcool et comment et quand doit-on la boire ?

MANFRED AUDARD – Le degré d’alcool des Absinthes peut varier entre 55° et 68° d’alcool. Une Absinthe forte en alcool peut s’avérer très douce et suave en bouche, c’est le cas de la Larusée Verte qui titre à 65° d’alcool.

On peut boire l’Absinthe en shooter, à l’apéritif (une dose d’Absinthe, deux doses d’eau bien fraiche), en digestif (une dose d’Absinthe, une dose d’eau bien fraiche).  Certaines Absinthes amères peuvent s’accompagner d’un sucre.

L’Absinthe se marie parfaitement bien dans de nombreux cocktails: un mimosa à l’Absinthe (Absinthe, jus d’orange, eau gazeuse) ou bien un mojito revisité (Absinthe, menthe, lime).  

RH – En quoi l’Absinthe est différente des boissons à base d’anis comme le Pastis ou l’Arak?

MANFRED AUDARD – La principale différence réside dans les ingrédients : les alcools que vous citez ne contiennent pas de plante d’Absinthe. Comme le pastis ou l’arak, mais également l’ouzo ou le raki, l’Absinthe contient par contre de l’anis.

RH – Vous êtes actuellement le principal promoteur d’Absinthe au Québec. Pouvez-vous nous décrire quelques Absinthes intéressantes?

absinthe bouteilles

MANFRED AUDARD – J’ai un faible pour les Absinthes Larusée. Il s’agit d’une distillerie récemment créée mais qui est déjà parvenue à se tailler une très belle place. C’est 100% artisanal et 100% familial.  

La Larusée Bleue est un véritable délice. C’est une Absinthe d’été, facile à boire et parfaite pour s’initier à cet alcool. Elle révèle des arômes de réglisse, de poivre et de menthe. L’anis est bien fondu et ravira les néophytes.

La Larusée Verte est une Absinthe de connaisseur. Elle est plus puissante et plus riche que la Bleue. On y décèle des notes alpines de sapin, de miel, de térébenthine, de fleurs blanches et d’amandes. La bouche est très végétale et montagnarde; c’est le type d’Absinthe que j’adore.

RH –  Le consommateur qui veut découvrir l’Absinthe, où peut-il la trouver? Est-ce qu’il y a des bars qui la servent actuellement? Est-ce qu’on peut la trouver dans les succursales de la SAQ?

MANFRED AUDARD – Les deux magasins SAQ Signature à Montréal et à Québec proposent une très belle gamme d’Absinthe. Notez que ces deux magasins livrent à domicile sans frais par Poste Canada à travers la province.

C’est plus difficile de trouver de bonnes Absinthes artisanales dans un magasin SAQ à proximité de chez soi mais nous travaillons d’arrache-pied pour convaincre le monopole de faire découvrir ce magnifique alcool à l’ensemble des consommateurs québécois.

On peut également déguster de l’Absinthe dans de nombreux bars et restaurants à travers la province : l’Intercontinental de Montréal dispose d’un magnifique bar à Absinthes, le Sarah B (360 Saint Antoine Ouest), le Lab. près du Parc Lafontaine (1351 Rachel Est) propose aussi un très beau choix d’Absinthes. À Québec, vous pouvez la trouver au bar Société Cuisine et Mixlogie (2360 Chemin Ste-Foy). Si vous êtes de passage à Sherbrooke, arrêtez-vous au King Hall (286 Rue King Ouest) où une magnifique fontaine à Absinthe vous attend.

RH – Quel est l’ordre de prix?   

MANFRED AUDARD 

  • Pontarlier Anis de la Distillerie Armand Guy- France, coûte 50$ le litre à la SAQ, code 10808994
  • Le Coq Vert  de la Distillerie Muse de France est vendu en coffret avec une cuillère à Absinthe à 99$ les 500ml. Code SAQ 12345073.
  • La Valkyria de la Distillerie Sankta Annas de Suède coûte 80$ le flacon de 500ml, code SAQ 12345031.
  • La Larusée Bleue de la Distillerie Larusée de Suisse, coûte 99$ pour 700ml, code SAQ 12338527.
  • La Larusée Verte de la Distillerie Larusée, vaut 120$ pour 700ml, code SAQ 12338578.

RH – Merci de m’avoir accordé cette entrevue Manfred Audard.  

MANFRED AUDARD – Merci à vous Roger de mettre en avant ce magnifique spiritueux qu’est l’Absinthe. Après un long oubli,  l’Absinthe est de retour !

LIENS :

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Bulles Mousse et Tanins (Importations BMT)   
Tél.: 514 814 5718 

Roger Huet
Chroniqueur vins et spiritueux
Président du Club des Joyeux
SamyRabbat.com 
LaMetropole.com

 

À propos de l' auteur

Roger Huet - Chroniqueur vins et Président du Club des Joyeux
Québécois d’origine sud-américaine, Roger Huet apporte au monde du vin sa grande curiosité et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Il considère la vie comme un voyage, de la naissance à la mort. Un voyage où chaque jour heureux est un gain, chaque jour malheureux un gâchis. Lire la suite...