jeudi 28 mars 2024
Les effets de la pálinka  :-) Les effets de la pálinka :-)

Vins de Roumanie : des brumes du passé aux tumultes d'aujourd'hui

Je viens de faire un voyage de presse en Roumanie, et j'ai encore des soubresauts d'images et de sensations qui se manifestent inopinément et spontanément dans ce quotidien que j'ai réintégré. Des situations, ou des dégustations, qui me ramènent soudainement à un moment de ce voyage qui n'a pas encore fini de me marquer. Un voyage pas mal unique, d'abord à cause des produits que j'ai découverts, bien sûr, mais aussi parce que j'ai eu la chance de connaître des collègues plus en profondeur (ce qu'on n'a pas toujours le temps de faire dans ces voyages), et un pays, (et une industrie) qui n'a pas fini de mettre les pièces de son casse-tête en place. C'est super intéressant et quelque peu déstabilisant d'essayer de comprendre quelque chose qui est toujours sur la table à dessin. Tout bouge encore, mais vers quoi? Voici quelques facettes de ce puzzle...

Au niveau statistique, il y a des données surprenantes. La Roumanie se retrouve autour du 10e rang des pays producteurs de vin dans le monde, et du 6e en Europe! Les Roumains sont aussi de grands consommateurs de vin; ils occupent la 14e place dans le monde. Leur viticulture remonte à environ 6000 ans. Faire du vin à la maison est assurément dans leurs gènes. C'est à la fois une grâce, parce que la culture du vin est bien présente dans les mœurs, et un obstacle pour l'industrie, parce que c'est plus difficile de vendre quelque chose que bien des Roumains autoproduisent. D'après ce que j'ai compris, ils achètent pour les grandes occasions et les mariages, mais pas spontanément pour le quotidien. D'où l'attrait pour l'export. Mais retournons en arrière un moment.

Comment expliquer qu'avec une histoire millénaire, on ne connaisse pas davantage les vins roumains?

Comme plusieurs j'imagine, j'avais la tête remplie de vagues notions folkloriques sur la Roumanie, mais j'ai appris avec surprise que c'est un très jeune pays. Le territoire géographique existe depuis longtemps, mais il était morcelé en diverses principautés et constamment l'objet de convoitise de ses puissants voisins. Ce n'est qu'au 19e siècle, (comme nous, avec le Canada!) qu'on voit l'union de deux régions, la Moldavie et la Valachie, pour former une première Roumanie. Et c'est au 20e siècle qu'elle prendra la forme qu'on lui connait. Donc, même si pas mal chaque région cultivait la vigne, il n'y avait pas d'unité territoriale pour identifier un vin roumain. Une exception importante est le Grasa de Cotnari, un vin liquoreux, qui connut autant de gloire que le Tokaj de Hongrie ou le vin de Constancia d'Afrique du Sud. Deux épisodes majeurs ont aussi mis à mal la viticulture locale : le phylloxera, qui entrainera une première plantation de cépages français, et l'ère communiste, qui remplacera typicité par productivité.

Depuis la fin du régime communiste en 1989, l'État, propriétaire de facto, reçoit les demandes de restitution des terres des citoyens, mais retrouver et fournir les preuves de propriété sur celles-ci est toute une épreuve administrative, et ça ralentit le processus de reconstitution du vignoble roumain. Il faut aussi rebâtir un lien de confiance envers les institutions, qui furent souvent entachées de corruption. Évidemment, l'entrée dans l'Union européenne a apporté des capitaux d'investissements qui permettent une modernisation bien nécessaire, et une expertise externe qui permet une production et une commercialisation plus efficaces. Cette efficacité, qui a mené aux statistiques que je mentionne plus haut, me semble toutefois une arme à deux tranchants.

D'un côté, ce réservoir de production a permis d'approvisionner à bon prix plusieurs clients de grandes surfaces, comme les supermarchés britanniques, qui les proposaient sous leur marque maison. Mais ceci peut donner aux consommateurs l'idée que les vins roumains sont surtout des vins d'entrée de gamme, plutôt génériques, peut-être, et lorsqu'on veut ensuite proposer des vins dits premiums, il est plus difficile de les vendre à leur juste valeur. Le chemin est plus long, comme le Chili et l'Argentine peuvent en témoigner.

Aujourd'hui, on retrouve environ 150 producteurs en Roumanie, dont seulement cinq d'une taille considérable. On a une bonne délimitation des zones de production et des appellations qui gagnent en reconnaissance, surtout localement. Les vins plutôt sucrés, et souvent blancs, sont traditionnellement les plus appréciés, et ce, malgré qu'un des plus anciens cépages, le feteasca neagra, soit rouge. Mais la demande internationale, et le fait que les plus jeunes producteurs ont beaucoup voyagé, font que, surtout au niveau premium et super premium, les vins soient de plus en plus secs. Outre les cépages français et germaniques qui sont cultivés depuis plus d'un siècle, la Roumanie a aussi quelques cépages locaux, qui peuvent être des as dans sa manche. Des cépages que certains producteurs réussissent à mettre en valeur, pour notre plus grand plaisir. Et comme l'industrie est toute jeune et sans trop de carcan, on nous offre aussi des assemblages originaux et savoureux.

Ce que j'ai ressenti, lors de ce premier contact avec cette contrée, c'est la grande complexité toute en paradoxes de son peuple. Il est un îlot de tempérament méditerranéen (qui a des airs de proche cousin avec bien des Italiens... et des Québécois!) dans une mer de pays slaves. Un peuple qui semble avoir le commerce dans son sang (qu'il a bien chaud, d'ailleurs), mais qui sort d'une période de communisme pur et dur. Un pays jeune d'histoire, mais qui est bien ancré sur son territoire depuis des lustres. Un pays qui semble très patriarcal et conservateur, mais où les femmes jouent le jeu et commencent à diriger des entreprises en même temps. C'est assez fascinant à voir, de l'extérieur.

Le vin n'est pas en reste. Comme en Italie, il peut être aussi générique et international qu’hyperlocal, avec des cépages et des styles qu'on ne voit nulle part ailleurs. L'ambition et l'enthousiasme des différents producteurs étant indéniables, il reste maintenant au pays à avoir les moyens à long terme de ses ambitions, pour pouvoir rayonner et s'assurer d'une place incontournable dans notre marché. Je nous le souhaite, car il y a des perles qu'on gagnerait à pouvoir savourer sur une base régulière. Et ne me partez pas sur la țuică et la pálinka! Vraiment, je ne peux que dire : Noroc, Romania!

Voici un panorama de vins et de producteurs que j'ai découverts pendant ce voyage.

Dans le Dealu Mare, notre première visite fut pour Crama Budureasca, un des joueurs importants du pays, qui produit plus de 2 millions de litres par année, et qui exporte ses vins dans une vingtaine de pays. Ils jonglent avec bonheur tant les cépages internationaux que les cépages locaux, sous l'habile direction d'Olga Miloiu, et du coloré et fort sympathique vigneron Stephen Donnelly. Un chai ultra moderne, des terroirs bien délimités, et même une section bio, lui servent de pigments pour créer des œuvres vinicoles très variées, et qui cernent bien les divers marchés pour lesquels ces vins sont élaborés.

Pour découvrir des vins dans un style que les Roumains affectionnent, essayez en blanc, le Classic Feateasca Regala, ou l'assemblage Classic Fumé, deux vins aromatiques, fruités et suaves, joliment équilibrés. Ou l'intense Tămâioasa Românească (affectueusement surnommé Timi, par Stephen), qui vogue entre les notes muscatées et celles du gewurztraminer. Les rouges à base de feteasca negra sont mes préférés, surtout le Feteasca Negra Premium 2016. L'assemblage Noble 5 est aussi très apprécié mondialement. Des bulles et un vin doux typique viennent compléter l'offre de Budureasca. Il ne vous reste qu'à découvrir qui est le personnage de profil sur l'étiquette, et la terrible histoire des vignes incendiées.

olivier Beauté paisible derrière BudureascaBeauté paisible derrière Budureasca

Dans la région de la Moldavie roumaine, autour de la ville d'Iasi, nous avions rendez-vous avec la jeunesse. D'abord chez Gramma, Marian Olteanu et son ami de chai Mihai Cristian Focea nous ont fait déguster les vins de leur Cuvée Visan qui se mariaient avec une grande diversité de plats. Deux choses m'ont particulièrement plues chez eux : l'originalité des étiquettes toutes contemporaines, et leur aligoté, tout aussi particulier. À découvrir sans faute en 2020, leur Feteasca Neagra 2018, gourmand, souple, et aussi fruité que doucement poivré.

Ensuite, on visite Crama Hermeziu, un domaine qui offre oenotourisme à l'hôtel La Domenii et production de vins, des plus traditionnels aux plus modernes. Sous la direction de la super passionnée et très branchée Loredana Lungu, les mousseux Mademoiselle Rosé et Madame Bleu, et le rosé C'est soir font sensation. Les étiquettes de la gamme Hermeziu, avec leurs pièces d'échec, sont vraiment belles. La gamme Vladomira séduit avec ses cépages locaux, dont le fameux rosé très suave, le Busuioaca de Bogotin.

C'est aussi dans cette région que se retrouve un des gros joueurs : Casa de vinuri Cotnari, qui est spécialisée dans les cépages roumains. Quelle Maison de contrastes! Elle possède autant un manoir Belle Époque, près duquel on élabore des vins à la fine pointe de la technologie, qu'un bâtiment d'accueil vert et jaune, de style 1960, dans lequel se trouve un restaurant des plus classiques. Cotnari va produire pour la première fois de son histoire des vins rouges, et elle produit aussi un des vins historiques de la région, le fameux vin doux Grasa de Cotnari, qui a un potentiel de vieillissement de plusieurs décennies! J'ai eu la chance de déguster un 1960. Quelle superbe texture, et quelle fraîcheur, encore! Un délicieux mélange de parfums d'orange brûlée, de fruits secs et de noix. Ils en font aussi une version moderne et sec, au fort joli nez de gingembre. Le domaine produit aussi des mousseux.

olivier CotnariCotnari

Terminons ce périple dans une région très pittoresque et très différente en style : la fameuse Transylvanie. L'influence germanique y est perceptible au niveau architectural d'abord, mais aussi dans le style des vins, qui sont nettement majoritairement blancs. Un des cépages phares de la Roumanie, le feteasca regala, est né dans cette région. Le relief toujours plus montagneux, les bois et les petits villages regroupés autour des diverses églises, sont souvent dignes de cartes postales. Cluj Napoca est une ville intéressante comme point de rayonnement pour visiter la région.

olivier Latmosphérique TransylvanieL'atmosphérique Transylvanie

Le plus gros producteur vinicole se trouve sur le plateau de la Tarnave : Jidvei, qui produit plusieurs millions de bouteilles chaque année, réparties dans une trentaine de produits. Dans les années 50, c'était un acteur vinicole industriel, mais il a été privatisé en 1999, et s'est depuis grandement modernisé. Malgré cela, une grande expertise et une grande connaissance des 2400 hectares de terroirs qui appartiennent à la compagnie se retrouvent dans la tête du vigneron Iona Buia, qui travaille ici depuis les années 70! Les étiquettes de la gamme Mysterium sont superbes, et le blanc m'a beaucoup plu. Le Feteasca Regalla 2009 était spécial, et délicieux avec le poulet fermier. Ils font aussi des vins doux, comme le Traditional Muscat Otonel, au très joli nez particulier, et même parfois un vin de glace, à base de traminer rose! Brandy et mousseux, dont le suave et fruité Margaritar Roze, viennent compléter l'offre. Et on mange tellement bien au restaurant du château Bethlen Haller, qui leur appartient!

olivier Victoriaqui chasse les sangliers des Vignes de JidveiVictoria, qui chasse les sangliers des vignes de Jidvei

Je ne saurais remercier assez Crama Budureasca et les autres généreux producteurs qui se sont unis pour nous inviter en Roumanie, ainsi que M. Aurelian Mantu, de l'agence Maxim Impex et son infatigable adjoint Mihai Popescu, qui m'ont permis d'avoir ce trop bref coup d'œil sur un pays si intrigant, et qu'il faut découvrir tant pour ses vins que pour ses soupes ciorbă... et les pálinkas!

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Sommelier-conseil
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À propos de l' auteur

Diplômé sommelier-conseil de l’Université du vin de Suze-La Rousse, en France, j’ai commencé mon apprentissage du monde vinicole en suivant les cours Les Connaisseurs de la SAQ. Aujourd’hui, j’en suis devenu un animateur! Chroniqueur vins et alcools dans diverses publications, dont le magazine Fugues, je parcoure la planète pour mettre images et visages sur ces produits qui me font vivre tant d’émotions.