J’ai connu Don-Jean Léandri en 1995, à l’époque où je présidais l’Amicale des sommeliers du Québec. Don-Jean animait alors des ateliers sur le vin au bénéfice des membres de la section montréalaise de notre association. À ce titre, et pour d’autres raisons que vous allez maintenant découvrir, j’ai soumis sa candidature au rang d’Ambassadeur du vin au Québec, distinction qui lui fut naturellement décernée quelques mois plus tard, par le Vice-Président de la Société des alcools du Québec, M. Claude J. Marier.
Niçois et corse de cœur, il choisit le Québec
Don-Jean Léandri est né à Nice et se revendique corse de cœur par ses origines paternelles. A l’adolescence, il tourne en rond et ses fréquentations sont parfois douteuses. Le destin fait en sorte de changer sa trajectoire alors qu’il accompagne un copain venu passer une entrevue pour un poste de commis-débarrasseur dans un Palace niçois. Figurez-vous qu’au dernier moment le copain se désiste et c’est Don-Jean qui obtient le poste !
Le faste et les dorures l’impressionnent et il se dit qu’il est peut-être fait pour travailler dans cet univers luxueux, un monde où les sens sont fortement sollicités.
Par conséquent, il poursuit son apprentissage dans différents restaurants de Corse et de la Côte-d’Azur avant que le goût d’aller voir ailleurs le submerge. Il met les voiles, part à la conquête de l’Afrique et traverse une bonne partie du continent. Puis retour en Europe, direction l’Ecosse. Le voilà majordome auprès d’un couple richissime, il en profite pour parfaire son anglais. C’est ensuite l’Angleterre avant de traverser l’Atlantique et jeter l’ancre aux Bermudes. Après 3 ans en tant qu’insulaire vivant en anglais, il souhaite aller aux États-Unis et comme il se lasse d’attendre son sésame, la fameuse carte verte, il opte pour le Canada. D’abord Toronto puis voulant renouer avec la langue de Molières, c’est par un froid glacial qu’il débarque au Québec en janvier 1974. « Je marchais dehors dans les rues de Montréal et n’avais qu’un long manteau d’été, comme dans les films de Sergio Leone. Je remontais le col sur mon nez pour me protéger du froid polaire et à tous les 100 mètres je m’engouffrais dans une entrée de commerce pour me réchauffer un peu. » Sacré choc !
Après un premier emploi à La crêpe bretonne, il renoue avec les bonnes tables notamment au restaurant Les Halles, véritable institution à l’époque. Il se rapproche gentiment d’une charmante collègue, Marie-France Breton qui deviendra son épouse et la mère de leur fils, Don-Jean.
Par ailleurs, la carte des vins du restaurant est impressionnante et Don-Jean aborde ce nouvel univers avec intérêt. C’est ainsi que peu de temps après, il se retrouve sommelier dans la belle salle à manger de l’Hôtel Quatre-Saisons de Montréal. Il faut avouer qu’à la fin des années 1970, la profession en est à ses balbutiements au Québec. De voir arriver à sa table un serveur, la serviette blanche soigneusement pliée sur l’avant-bras, le vin sélectionné délicatement couché dans un panier en osier ou en étain et voir ce drôle de personnage décanter ladite bouteille dans une carafe en cristal…c’était du jamais vu et cela relevait carrément du spectacle ! C’est donc avec fierté et émotions que Don-Jean se souvient : « pour la première fois, je revêtais les habits officiels du sommelier, le costume 3 pièces noir avec le long tablier et le tastevin relié au cou par une longue chaîne en argent. Je me suis revu à mes débuts dans cet hôtel à Nice où j’avais obtenu le poste à la place de mon copain ». Tout un parcours en une dizaine d’années.
Cette expérience s’avère profitable et le potentiel de Don-Jean Léandri se déploie. Son érudition, ses talents de communicateur, l’attention qu’il porte envers chaque client, un brin charmeur avec les dames, sa délicatesse et son raffinement attirent l’attention. Il incarne la classe et l’élégance à la française ! Il est sur son X.
Le métier d’enseignant et le début d’une indéfectible amitié
Un nouveau champ d’actions s’ouvre à Don-Jean alors qu’il est embauché comme professeur à l’École Hôtelière et d’administration de Laval où il restera une vingtaine d’années. Il enseigne le Service en salle auquel il greffe quelques heures de formation en sommellerie. Animé d’une forte passion pour cette portion de la formation, il veut développer cet aspect de son cours. Il y parvient, bien que la Métropole soit bien nantie en établissements offrant des cours de sommellerie…mais la demande de personnel compétent explose. D’abord l’ITHQ, puis l’école hôtelière des Laurentides où officie un certain Jacques Orhon dont la réputation a pris l’ascenseur en direction des plus hauts sommets. Inévitablement, les routes de ces compatriotes, tous deux expatriés, de surcroit œuvrant dans la même sphère, allaient finir par se croiser. La rencontre a effectivement eu lieu au milieu des années 1980 et l’histoire est loin d’être banale. J’ai donc contacté Jacques, un conteur naturel, pour qu’il me donne sa version de l’histoire…la genèse de ce qui est devenu une grande amitié.
Ce dernier d’amorcer « le début de notre histoire remonte à 1988 alors que nous étions tous deux finalistes au concours du meilleur sommelier du Canada ». Il relate la suite dans son dernier livre* « alors que nous changions de costume, nous allions faire baisser la pression avec des éclats de rire et des confidences qui déclencheront notre amitié » - « ce soir-là, non seulement nous deviendrons proches…mais à partir de ce jour il devient un compagnon indispensable et un complice ». Les deux routes parallèles sont devenues une autoroute à deux voies vers une destination très, très lointaine. Retenons pour l’histoire que Don-Jean a remporté la palme de ce concours et fut proclamé le Meilleur sommelier du Canada.
En près de 40 ans, Don-Jean et Jacques ont collaboré à une foule d’activités professionnelles, ont fait ensemble une multitude de voyages dans plusieurs régions viticoles, ont échangé des souvenirs autour d’une longue lignée de grands crus et ont même donné de la voix pour entonner des refrains populaires de la chanson française ou corse ! Pour les côtoyer tous les deux depuis quelques années, je peux témoigner du lien passionnel qui les unie « une complicité affective » comme le dit si bien Jacques !
L’homme, le sommelier, le porteur d’allégresse
Nul ne peut résister au charme de Don-Jean Léandri, ce corse de cœur. Charmeur voire enjôleur, la voix veloutée comme un vieux porto, son accent caressant comme une brise estivale et son art pour décrire le vin font pétiller les âmes comme un bon champagne. Maîtrisant l’art oratoire il décrit le vin avec éloquence, force références historiques et parfois enrobées de truculentes anecdotes qui laissent pantois l’amateur conquis.
Ses talents et son expertise acquise à la formation en ont fait un animateur et un conférencier recherché. Son grand professionnalisme et le souci de la perfection développés au contact des palaces 5 étoiles en ont fait un organisateur consciencieux, parfois sous les projecteurs, d’autrefois en coulisses…ce qui fut notamment le cas pendant des années où dans les salles adjacentes maintenues sous haute sécurité, il supervisait et coordonnait avec rigueur et la précision d’un métronome le service du vin, lors du prestigieux évènement Montréal Passion Vin.
En outre, ses compétences sont reconnues dans toutes les sphères sociales. Il a eu l’occasion de servir et de déguster avec nombre de célébrités. Pas étonnant que Céline Dion et René Angélil aient fait appel à ses précieux services pour sélectionner les vins qui furent servis à leur mariage.
Sur cette photo prise chez-moi en 2009 je suis à gauche avec André Girard, Jacques Orhon et Don-Jean Léandri
Qui aurait pensé ?
La vie nous réserve parfois de belles surprises. Je suis à Nice depuis une dizaine d’années quand Don-Jean me téléphone « salut Jean, je suis en visite chez ma maman à Nice, on pourrait se voir » ! Ainsi, pendant un temps on se retrouve chaque été lors de ses incursions familiales. Enfin, il y 3 ans Don-Jean s’est installé définitivement dans la ville qui l’a vu naître. Quel bonheur pour moi de retrouver un ami avec qui je peux partager ma passion du vin et de la gastronomie. Un ami qui, à mon instar, aime ses deux pays et ses deux cultures, le Québec et la France. Nos rencontres sont quasi hebdomadaires et il fait désormais parti du sympathique Club Bachique Franco-Québécois, où nous dégustons à l’aveugle lors de nos agapes mensuelles. De plus, comme les québécois sont nombreux à nous visiter en hiver, il s’est naturellement intégré à notre petite communauté qui s’élargie chaque année. Nous nous retrouvons alors entre franco-québécois autour de grandes tablées ou la jovialité et la bonne humeur ont préséance.

Comme le dit régulièrement Don-Jean : « le bonheur ! »
Ainsi, de notre relation professionnelle du départ est née une belle amitié qui comme le bon vin, mûrit, se raffine et prend de la profondeur avec le temps. Chaque moment partagé devient alors prétexte à l’échange de beaux souvenirs et à l’évocation de nos nombreux amis communs que nous conservons au Québec et qui se reconnaîtront ici.
Note * : L’Odyssée d’un sommelier. Auteur Jacques Orhon, Les Éditions de l’Homme


