Telle une boule à facettes Jacques Orhon nous renvoie diverses versions de lui-même : sommelier, professeur, auteur, conférencier, animateur, chroniqueur, romancier, compositeur, musicien et chanteur, c’est à en donner le tournis. Il touche à tout et tout lui réussit. Son parcours est riche, bigarré, parsemé d’expériences inouïes qu’il narre avec fougue, panache et passion.
L’auteur prolifique
L’Odyssée d’un sommelier, voilà le titre de son dernier opus que je n’ai pas encore lu (il sera disponible en France vers la mi-septembre) mais dont les échos en provenance du Québec sont porteurs de commentaires élogieux. Jacques, à qui j’ai cependant parlé alors qu’il était en pleine écriture, m’a avoué qu’il s’agissait d’un livre davantage personnel où foisonnent des récits parmi les plus significatifs puisés au fil de ses aventures comme globe-trotteur du vin. D’autant que Jacques est besogneux, chaque année il part en pèlerinage et arpente le terrain à la rencontre de gens éperdus et aussi passionnés que lui pour la cause du bien boire, où qu’ils soient sur le globe. Or, comme il possède une liste d’amis viticulteurs et œnologues longue comme un rang de vigne de la Vallée de Napa, cela laisse présager un condensé d’aventures passionnantes et enivrantes. De plus, sachez que Jacques Orhon écrit comme il cause, ce qui donnera nul doute des histoires emballées et livrées avec moult détails, truculence, humour et un brin de nostalgie. Un ouvrage dont les acteurs de la filière viti-vinicole au Québec et à l’étranger vont se délecter. Il me tarde d’avoir l’ouvrage entre les mains.
Vous l’aurez compris, cette chronique ne sera pas une critique littéraire. En revanche, ce lancement me donne l’opportunité de revenir sur la carrière prolifique de mon ami Jacques Orhon.
Tout d’abord à titre d’auteur, je rappelle que les premiers objets littéraires de Jacques prennent la forme de Guides du vin utiles à la fois aux gens de la profession et aux amateurs en devenir. Existent depuis une trentaine d’années plusieurs manuels pédagogiques fort explicites sur tout ce qui concerne la viticulture et la viniculture. Le vin à table n’est pas en reste car Jacques fait aussi la part belle aux associations vins et mets. Or, ces guides sont devenus de véritables outils de références exhaustifs et formateurs, chacun résultant d’un travail de longue haleine mené sur tous les continents où pousse la vigne. Traduits en différentes langues et vendus dans plusieurs pays, l’auteur et ses livres ont été maintes fois récompensés, notamment en Europe. Citons,
- Mieux connaître les vins du Monde
- Le nouveau guide des vins d’Italie
- Le nouveau guide des vins de France
- Les vins du Nouveau Monde (Tomes 1, 2 et 3)
- Harmonisez vins et mets
- Le guide des accords vins et mets
- Le Sommelier c’est vous
Par ailleurs, ces dernières années Jacques a opéré un virage littéraire et trempe davantage sa plume à l’encre d’expériences humaines et de souvenirs plus personnels. Il délaisse ainsi le côté didactique et tire profit des liens qu’il a tissés avec de très nombreux producteurs de la sphère viticole mondiale. Sont sortis des presses des livres plus ludiques, en partie autobiographiques et parfois dotés d’un esprit romanesque. L’auteur émaille ses récits de réflexions sérieuses sur ce monde en constance mutation mais commente aussi sur un ton plus léger certaines tendances plus frivoles. En outre, dans un ouvrage quelque peu jubilatoire, il se défoule et s’aventure à démythifier certaines coutumes et à dénoncer des comportements ostentatoires qui ont plutôt tendance à faire fuir le consommateur. Par exemple, il ose remonter les bretelles de jeunes sommeliers patentés qui pérorent péremptoirement, dans un langage codé d’initiés, seulement dans le but d’épater la galerie. Le professionnel aguerri qu’est devenu Jacques sans avoir la tête dans les nuages, use ainsi avec discernement de son ascendance et de son intégrité afin de transmettre un savoir faire ou…de dénoncer si besoin est. Par conséquent, comme le disait Voltaire « vaut mieux être en guerre avec les imbéciles et en paix avec soi-même ».
Vous trouverez tout cela et plus dans les livres suivants que je vous invite à lire et relire.
- Entre les vignes
- Le vin snob
- Les fruits de l’exil
Le parcours québécois du sommelier breton
Retraçons brièvement le cheminement de notre sommelier baroudeur. En 1976, le plus célèbre des bretons québécois et son épouse Josiane Duval débarquent au Québec. Jacques, qui avait déjà décidé de se mettre au service du vin, fait ses débuts ici au célèbre hôtel des Laurentides, La Sapinière. Il y rencontre tout le star système de l’époque car la Sapinière est une véritable institution en Amérique du Nord et le seul Relais & Châteaux au Canada. L’imposante carte des vins attise sa curiosité et le porte à pousser plus loin ses connaissances. Son intérêt va grandissant et à lire les étiquettes aux noms évocateurs il sait déjà que ce qui le captive dans cette aventure enchantée « est de mieux connaître les hommes et les femmes derrières ces fabuleux flacons. Je souhaite connaître leur histoire, les rencontrer et si possible, développer des liens avec ces vignerons ». Or d’après les livres cités plus haut, nous savons que c’est mission accomplie.
Après deux années à La Sapinière, curieux de découvrir ce vaste pays qu’est le Canada, les tourtereaux partent à la conquête de l’ouest notamment en Alberta. Puis, ils reviendront s’établir dans les Laurentides…où ils sont toujours.
Ensuite, après d’autres expériences dans le milieu de la restauration Jacques embrasse la carrière d’enseignant. Bien sûr c’est la sommellerie qui sera son terreau et l’École hôtelière des Laurentides de Ste-Adèle…son carré de sable. Toujours dans l’excitation des choses à venir et sans une once d’oisiveté, il fonde avec ses étudiants l’Association canadienne des sommeliers professionnels. Nous lui devons une bonne partie du savoir de toute une génération de sommeliers au Québec.
Doté d’un bagou communicatif et d’un fort charisme Jacques Orhon est ensuite propulsé sous les feux de la rampe comme chroniqueur aux populaires émissions Vins & Fromages ainsi que Des Kiwis et des Hommes. Cette fois c’est le grand public qui bénéficie de ses conseils et découvre dans ses entrevues une pléthore de producteurs européens, américains ou canadiens.
En parallèle, il parcourt le monde, va à la rencontre des vignerons, rempli des carnets de notes et empile les photos en préparation des livres futurs à rédiger. Il devient juge dans à peu près tout ce qui existe comme concours de vins sur la planète. L’enthousiasme de notre sommelier bourlingueur et son entregent lui permettent de tisser des liens forts et durables avec un nombre incalculable de vignerons, d’œnologues et autres journalistes du monde entier. Accompagner Jacques Orhon lors d’une tournée de vignobles…on sait quand ça commence mais pas quand ça fini, tant les gens veulent le voir et lui parler.
D’autant, qu’il sait se faire troubadour et ambianceur. Il est désormais de coutume à la fin d’une soirée qu’il sorte sa guitare et entonne des chansons du répertoire français et québécois. Les gens présents font les chœurs et les émotions envahissent l’espace…de beaux souvenirs sont entrain de naître. Alors, que vous soyez dans un château à Bordeaux, un vignoble dans la Vallée de Barossa en Australie ou un chai à Mendoza en Argentine et que vous évoquez le nom de Jacques Orhon, votre hôte se targuera fièrement d’être l’un de ses intimes.
Nos contacts professionnels et amicaux
Mes premiers échanges avec Jacques remontent à 1984, alors que j’étais le Directeur de la Maison des vins de Québec. Jacques voulait s’inspirer des modules de notre salon de dégustation en vue d’en implanter un à son école des Laurentides. Nous avons rapidement conclu une entente. Puis, alors que je siégeais à la Fondation de l’Opéra de Québec, nous avons fait appel à ses talents d’orateur et de conférencier pour animer nos soirées Dégustation de prestige Vins & Opéra. Jacques est un animateur hors-pair qui captive et séduit instantanément son auditoire. Dans ce genre d’événements il relève de la haute voltige d’obtenir l’attention des convives, avec Jacques, en moins de deux, c’était dans la poche !
Ensuite, Jacques a été intronisé au sein du Collège des Ambassadeurs du vin au Québec, que j’avais contribué à fonder en 1993, au nom de la SAQ. C’est à cette époque que nos relations jusque-là professionnelles se sont transformées en liens amicaux. Une amitié qui perdure désormais au-delà de l’Atlantique car pour ma part, j’ai fait le chemin inverse en venant m’installer à Nice, en 2010. Un québécois en France venu combler le départ du breton au Québec !
Lors de la remise du prix Masi à Vérone, Jacques est entouré de Don-Jean Léandri, Michèle Chantöme, Jean-Yves Bernard et votre chroniqueur
Puis, un moment inoubliable est d’avoir été aux côtés Jacques à Vérone quand il a reçu le prestigieux prix international Premio Masi della Civiltà del Vino, remis par la Fondation Masi pour sa carrière exceptionnelle et sa contribution pédagogique remarquable au monde du vin et de la gastronomie. Cela se passait en septembre 2011, quelques collègues et amis de Jacques avaient fait le déplacement du Québec pour assister à ce moment solennel.
D’autre part, nous nous sommes régulièrement côtoyés lors de divers concours internationaux de dégustations tenus à Paris, en Suisse, en Allemagne ou au Québec notamment et encore, aux Sélections mondiales du vin Canada.
À Nice, la rencontre d’un trio de bons copains réunissant Jacques Orhon, Don-Jean Léandri et Jean Chouzenoux
Enfin, sur un plan plus intime, avec Jacques et son ami depuis 40 ans, le sympathique collègue Don-Jean Léandri qui réside aussi à Nice, nous avons eu l’occasion de se retrouver à quelques occasions pour deviser et tâter de la bouteille. La dernière rencontre de notre trio, c’était l’an dernier sur ma terrasse niçoise, sise sur le bien nommé…boulevard de Montréal ! Comme se plaît à répéter l’ami Don-Jean de sa voix de stentor : Le bonheur ! Je confirme, tant bons vins, assiettes bien garnies et musiques jolies nous ont régalés…en prime, la vue imprenable sur la Méditerranée. « Elle est pas belle la vie ! » Après ces agapes réjouissantes pimentées de discussions animées, place au moment nostalgique de la soirée avec la projection d’un diaporama maison mettant en exergue 25 ans d’amitiés. De l’émotion et de la camaraderie à l’état pur !
Malgré la lente houle du temps qui passe, malgré la distance, nos rencontres désormais plus espacées demeurent tout aussi chaleureuses. Nous faisons en sorte de gagner en qualité ce que nous avons perdu en quantité.