lundi 13 octobre 2025
La Maison des vins de Québec, toile réalisée par Reynald Bourdeau, artiste peintre La Maison des vins de Québec, toile réalisée par Reynald Bourdeau, artiste peintre

Souvenirs d’une époque à la Maison des vins de Québec

J’ai eu le privilège de travailler à la prestigieuse Maison des vins de Québec de Place Royale, au siècle dernier. D’abord comme conseiller en vin de 1975 à 1976, puis comme directeur dans les années 1980-1990. Pendant toutes ces années, j’ai eu l’opportunité de rencontrer des centaines de clients passionnés dont certains plus connus dans la sphère publique. Je vous offre dans les paragraphes qui suivent quelques secrets vineux à propos bons amateurs qui nous ont quittés. Je livre quelques secrets car je ne suis pas tenu par le secret professionnel et puis comme on dit, il y a prescription.

Roger Lemelin

Roger Lemelin, auteur de Les Plouffes, aussi éditeur du journal La Presse et natif de Québec est sans doute le premier client prestigieux que j’ai eu l’occasion de servir dans les voûtes de l’auguste Maison des vins dès mes débuts comme conseiller en vin. Le premier également qui semblait s’y connaître en vin au point de nous en apprendre à nous, les jeunes conseillers de l’époque. À l’ère où les grands crus étaient onéreux, sans atteindre les sommes stratosphériques d’aujourd’hui, monsieur Lemelin vidait carrément nos stocks de Romanée-Conti, Richebourg, Montrachet, Yquem ou Latour. Avec mes collègues nous étions tous à ses petits soins et suspendus à ses lèvres pour écouter les commentaires qu’il nous livrait avec passion à propos des vins qu’il sélectionnait. Il pouvait passer deux heures à arpenter l’aire de vente et surtout à s’éterniser devant les flacons présentés dans la fameuse cuvée exceptionnelle. Un immense foudre où, après avoir retiré la chaîne, on allumait la bougie pour enfin entrer avec le client et lui montrer un par un, la pléthore de trésors qui s’y trouvaient.  Mystique… aujourd’hui on dirait Instagramable ! Aux vins précités, ajoutons les Barolo, Amarone, Lafitte, Côte-Rôtie, Corton-Charlemagne et tutti quanti. Lorsqu’il revenait quérir sa commande les jours d’après, nous faisions la chaîne dans les escaliers extérieurs afin d’entasser les nombreuses caisses dans son véhicule.

Un amateur érudit, généreux (dans tous les sens du terme…les pourboires étaient acceptés à l’époque !) et fier de partager ses connaissances face à des débutants assoiffés d’apprendre.

Jean Garon

Un être éminemment sympathique et un drôle de client. Jean Garon se pointait à la Maison des vins de Place Royale, deux fois par année. Les 24 et 31 décembre, généralement vers 16h30, soit une demi-heure avant la fermeture et il nous traînait jusqu’à plus d’heure après que nous ayons fermé boutique. Un peu exaspérant tout de même alors qu’avec mes collègues nous avions tous la falle à terre, éreintés par l’affluence accrue et les heures prolongées en cette période des Fêtes !! Mais quel beau moment c’était tant le personnage était truculent. Ainsi, chaque veille de Noël, arrivé dans le cellier au creux de la 4iè voûte (pour ceux qui ont fréquenté les lieux) le politicien sûr de lui et au caractère bien trempé, se trouvait fort démuni et la mine penaude face à sa méconnaissance de la chose du vin. Alors, un peu gêné, il me posait les questions usuelles de tout profane qui s’émerveille devant toutes ces étiquettes. Cela le rendait quasiment attendrissant. En bon élève il s’efforçait de retenir nos enseignements, sans doute pour épater la galerie lors du repas du réveillon ! Alors les minutes passant, j’avais beau regardé ma montre avec une légère insistance, rien n’y faisait… « C’est tu bon avec du chevreuil ce vin-là ? ». Sans compter les digressions pimentées sur quelques enjeux politiques du moment. Puis, son chauffeur, tanné d’attendre dans l’auto, finissait par entrer dans le magasin et venir faire le pied de grue avec les employés. Quand enfin son patron se décidait à passer en caisse avec ses précieux flacons, on les saluait respectueusement en sachant que Monsieur Garon remettrait le couvert le 31 décembre ! 

IMG 3673Le ministre Jean Garon lors d’une réception à la MDV (photo Engen Kedl)

Pierre Bourgault

Homme affable s’il en fut un c’est bien Pierre Bourgault, ce tribun exceptionnel qui a marqué l’histoire d’un Québec en quête d’autonomie. Orateur à la maitrise parfaite de la langue française, il avait le don de captiver ses auditoires abordant à satiété le thème de l’indépendance. Chez-lui, il y en avait autant dans la forme que sur le fond. Allez jeter un œil sur YouTube !

Au milieu des années 1980, Pierre Bourgault devient l’animateur du matin à la radio de CKCV à Québec. Son plaisir de la semaine, me disait-il, était de se pointer dans nos voûtes le mardi en fin de matinée alors que nous venions de recevoir notre marchandise avec son lot de nouvelles pépites. Lui, il s’y connaissait en vin. Acheteur invétéré, se fiant cependant aux avis des conseillers en vin, il remplissait plusieurs paniers des récentes découvertes que nous venions de faire. Pas des grands vins mais comme nous lui disions, d’excellents rapports qualité/prix/plaisir.

Mais alors quel conteur, généreux et totalement désinhibé. Bien sûr il pouvait s’épancher sur des sujets politiques mais sa marotte de l’époque était sa guerre ouverte avec un autre animateur au ton acrimonieux, sévissant à une station rivale.  Du fiel balancé avec une verve hors du commun et un humour malicieux. Il faisait ma journée !

Creìdit Denis CourvillePierre Bourgault (photo de Denis Courville, La Presse)

Antoine Nourcy

À Québec, tout le monde connaissait ce brillant homme d’affaires œuvrant dans le monde de l’alimentation et de la gastronomie. Doté d’un charisme inégalé, Antoine Nourcy a débuté modestement avec l’acquisition de sa première pâtisserie/boulangerie. S’en est suivie une ascension fulgurante avec l’ouverture de quelques succursales d’épicerie fine et de sa propre usine de fabrication de pain, pâtisserie, chocolat, etc. Bref, il est devenu le meilleur traiteur en ville. Raison pour laquelle j’ai fait appel à ses services comme traiteur attitré aux traditionnelles dégustations vins et fromages que nous tenions dans la salle de réception située au grenier de la Maison des vins. En revanche, il a fallu procéder rapidement à quelques ajustements. En effet, alors que je l’appelais au lendemain du premier événement pour lui dire qu’il ne fallait jamais mettre de cornichons, ni de radis sur les plateaux de charcuterie car cela n’allait pas du tout avec le vin, il a immédiatement demandé à me rencontrer pour que je lui explique le pourquoi du comment. Rendez-vous fut pris pour le lendemain…il a apporté un plateau de fromages, j’ai fait ouvrir un blanc et un rouge dans la salle de conférence et je lui ai donné une courte formation sur l’art de déguster et sur les principes généraux des accords vins et mets. Un électrochoc ! un monde qu’il ne soupçonnait pas s’ouvrait à lui. Alors Antoine s’est mis à lire, à suivre des cours sur le vin et à s’abonner à toutes les confréries bachiques de la Capitale. Il apprenait à une vitesse phénoménale et sa cave à vin prenait rapidement une ampleur démesurée. Acheteur avisé des opérations du Courrier Vinicole de la SAQ, il lui arrivait également de courir les encans de vins dans la Métropole. Sa passion le poussait à rechercher des vins aux millésimes soulignant les années de naissance de ses enfants ou autres moments marquants de sa vie. Si possible du Clos de Tart, du Corton, du Château Cheval Blanc et du Pétrus…vous voyez la palette visée ! « Le voyage est court, autant le faire en première classe », (Philippe Noiret).

Au fil du temps, Antoine Nourcy est devenu mon ami. Un ami que j’ai beaucoup chéri. J’espère qu’il y des vignes au paradis…

IMG 3843Je décante un grand cru avec Antoine Nourcy

À propos de l' auteur

Jean Chouzenoux a travaillé 35 ans à la Société des alcools du Québec, y a occupé différents postes de gestion aux ventes, aux communications et à la commercialisation.
 
Membre de nombreuses confréries bachiques et gastronomiques et animateur de tournées viticoles dans le vignoble européen. Juré dans les concours internationaux de dégustations, fut chroniqueur sur les vins à la radio et collabore ponctuellement au magazine Prestige de Québec.
 
Installé à  Nice depuis 2010, où il continue d'entretenir sa passion pour le vin.