Il y a 2 ans, alors que je présidais une commission au concours Sélections Mondiales des Vins Canada, j’ai fait la rencontre de Win Le Phan, qui était jurée sur mon panel. Faisant un peu plus connaissance au fil de la compétition, j’ai découvert une jeune femme à l’esprit entrepreneurial hors du commun. Récemment arrivée dans l’univers vitivinicole, Win Le Phan est à la fois vigneronne, sommelière, animatrice, agricultrice et surtout restauratrice. Boulimique de travail, touche-à-tout, sprinteuse dans ses méthodes d’apprentissage (tout apprendre rapidement), cette maman de 3 garçons semble vivre plusieurs vies à la fois… pourtant je ne lui connais aucun don d’ubiquité! Fille d’immigrants vietnamiens héroïques, tragiquement connus à travers les « boat people », ses parents ont inculqué à Win et sa sœur le sens de la débrouille et la forte valeur du travail.
Votre chroniqueur et Win Le Phan,
jurés au concours Sélections Mondiales des Vins Canada
Un parcours éloquent
Comme beaucoup de nouveaux arrivants au Canada, c’est dans la restauration que se sont lancés les parents de Win, en débarquant au Québec. La jeune Win scolarisée de narrer : « J’apprenais mes leçons en faisant la plonge ou en épluchant les carottes pour les rouleaux impériaux ». Elle poursuivra ses études jusqu’à l’obtention de son BAC en finances. Désormais conseillère dans une institution financière, elle garde cependant intact son intérêt pour la gastronomie. La passion est si dévorante qu’elle ajoute : « En 2008, lors du 400e anniversaire de la ville de Québec, je lâche la banque et reprend le restaurant familial, alors que je suis enceinte de mon premier fils ». Un aller/retour qu’elle fera plus d’une fois entre ses deux passions, la finance et la restauration. Un exemple : en 2015, elle délaisse à nouveau le monde des banques pour ouvrir un deuxième restaurant et oui, encore enceinte. En 2018, nouveau virage, Win et son conjoint font l’acquisition d’une fermette en Beauce et la voilà maintenant agricultrice, avec son potager de légumes et quelques bêtes à nourrir. Pas nonchalante pour deux sous, elle se donne une mission à la clé : faire connaître le sirop d’érable, véritable fleuron beauceron, à ses compatriotes asiatiques. La voilà partie pour des séjours fréquents au Vietnam, à arpenter les foires alimentaires, ses pots de sirop d’érable en bandoulière! C’est lors de ces salons qu’elle visite les sections vins et alcools et se découvre une passion pour cet univers, où « Les experts ont une approche fascinante et un langage envoûtant pour décrire les vins et parler des accords vins et mets. J’étais subjuguée et j’ai décidé d’approfondir mes connaissances en la matière ».
Win plante son premier cep à son vignoble, en Beauce
Bienvenue, Win Le Phan, dans le microcosme viticole québécois
Sévèrement atteinte du syndrome « j’veux tout savoir », notre nouvelle recrue québécoise dans la filière vinicole québécoise s’inscrit en 2018 à la formation en ligne intitulée WSET (Wine & Spirit Education Trust). Il s’agit d’une série de 4 certifications que les étudiants doivent acquérir et qui couvrent tous les aspects de la dégustation et de la fabrication des vins et spiritueux. Ce concours est d’ailleurs le prérequis pour tout prétendant au célèbre Master of Wine. Win a déjà en poche ses 3 premiers diplômes et est en voie de réaliser son quatrième exploit. Sitôt investie, la candidate cherche à partager ses connaissances et à propager la bonne parole. Elle se découvre un créneau et son thème de prédilection devient la viticulture québécoise. Là encore, elle y va à fond. D’abord, un stage chez le pape québécois de la viticulture, Charles-Henri de Coussergues, au Vignoble de l’Orpailleur, où elle s’initie à la vinification. « Six mois chez Charles-Henri, c’est 3 ans d’université. »
Autodidacte accomplie et performer efficace, elle approfondit sa connaissance des cépages, des terroirs et des méthodes de production bien particulières au Québec. Alors que la pandémie nous frappe en 2020, Win Le Phan, qui fuit l’oisiveté, entreprend de faire une étude de sol sur sa petite ferme en Beauce. Conséquemment, avec son conjoint, ils déboisent une partie de leur terre, fertilisent les sols et… plantent 4656 ceps. Et une nouvelle corde s’ajoute à son arc, la voilà viticultrice. Dans 2 ans, elle devrait vinifier sa première vendange! Bien sûr, à travers cela, elle veille sur ses trois garçons, participe à quelques émissions de radio et de télé, anime des conférences ou des ateliers de dégustation pour des entreprises ou lors des différents salons des vins qui se tiennent un peu partout au Québec. Mais pas que… elle veut encore partager ce savoir avec les compatriotes de son continent d’origine. Là voilà repartie au Vietnam pendant deux longues périodes de six mois en 2022 et 2023, où ses connaissances fraichement acquises et sa capacité à communiquer en français, en anglais et en vietnamien sont des atouts indéniables pour former de futurs serveurs en restauration et en sommellerie dans un pays qui s’éveille aux arts de la gastronomie à la française.
Et voilà, le Karibu !
Le mardi 23 juillet, j’ai un rdv téléphonique pour réaliser une entrevue en vue de rédiger cette chronique. Elle prend 45 minutes de son temps, alors qu’elle est en pleine ouverture de son nouveau concept, Karibu, un économusée des vins et des alcools du Québec. Situé sur la rue St-Jean à Québec, artère touristique au cœur de la cité reconnue au patrimoine mondiale de l’UNESCO, notre Win Le Phan trouvait que l’on faisait trop peu de place aux vins du Québec auprès des touristes qui visitent la capitale nationale. « Quand je vais en Bourgogne ou dans la Loire, j’aime bien boire les vins locaux. Je pense que les gens qui visitent le Québec veulent faire la même chose, même si notre industrie est jeune. Moi je veux m’employer à cela, c’est ma mission dans ce nouveau projet. »
Sur les vieilles pierres de cet édifice, on retrouve des affiches murales qui présentent les cépages québécois et détaillent les étapes de la viticulture bien singulière au Québec. Des vidéos s’ajouteront pour démontrer les méthodes de vinification et de distillation. Des objets de viticulture commencent à orner les lieux et la panoplie prendra de l’ampleur au fur et à mesure. Elle a imaginé une salle polyvalente où des producteurs québécois viendront donner des conférences et animer des sessions de dégustation. Il y a un comptoir où le quidam peut s’attabler pour déguster des charcuteries et des fromages québécois, accompagnés d’un vin issu de nos terroirs. Une sélection d’une centaine de vins et d’alcools figure à la carte. Enfin, le chaland pourra repartir avec son plat à emporter et la bouteille de son choix. Pour les artisans, les viticulteurs, les distillateurs, et les sommeliers, comment ne pas être fiers d’une telle ambassadrice de notre patrimoine viticole québécois?! Amis de la profession, lors de votre prochain passage à Québec, un arrêt incontournable s’impose chez Karibu, 1124, rue St-Jean, Québec.