lundi 29 avril 2024
Ma relation avec le Clos de Tart

Ma relation avec le Clos de Tart

Pour des raisons qui sont propres à chacun on peut avoir une préférence, voire un attachement affectif, pour un vin en particulier. Ses qualités intrinsèques, l’émotion que l’on a ressenti à la première dégustation, était-ce pour un mariage, une naissance ou un anniversaire, avec qui étions-nous, était-ce chez le producteur ou dans un grand restaurant ? Cela fait en sorte que l’on garde un souvenir indélébile de ce moment et que chaque dégustation subséquente nous ramène à cette émotion. On s’attache à ce vin qui devient en quelque sorte… notre vin fétiche !

Avec le titre qui coiffe cette rubrique vous savez maintenant que mon vin totem est le Clos de Tart grand cru de la commune de Morey St-Denis, en Bourgogne. Juste un mot pour vous dire que le Domaine fut fondé en 1141 par les Bernardines de l’Abbaye de Tart qui était une dépendance de l’Abbaye de Cîteaux. La famille Marey-Monges en fit ensuite l’acquisition avant de le revendre à la famille Mommessin en 1932. C’est l’homme d’affaires François Pineault qui a fait fortune dans l’industrie du luxe qui possède aujourd’hui les quelques 7,5 hectares de vignes du Monopole.

De mon côté, comme depuis 45 ans je collectionne les étiquettes des grands vins que je consomme et que j’annote la date et la circonstance de la dégustation, il m’est facile de retracer mon parcours auprès de cette marque que j’affectionne. Ainsi c’est pour la naissance de mon fils en 1981 que j’ai acquis mon premier flacon de Clos de Tart. J’étais alors Directeur de la Maison des vins de Québec (MDV) et je me souviens qu’il fallait débourser la rondelette somme de 42$ pour l’acquérir. Quelques années plus tard, toujours à la MDV nous avons proposé à notre clientèle une verticale du prestigieux vin. Une dizaine de millésimes issus des années 50, 60, 70 que j’avais bien sûr eu l’occasion de tous déguster. De quoi me construire un spectre de références assez large et de tisser davantage ma relation avec ce terroir. Par ailleurs, en d’autres circonstances c’est le vin qui me faisait des avances, comme cette fois où Pierre Fluet connaissant mon attachement pour le Clos de Tart et pour me remercier d’avoir reçu à la maison toute mon équipe de conseillers en vin, m’offrit une bouteille de 1979 que je dégustai quelques années plus tard. Salut mon Pierre sur ton petit nuage !  Au-delà de ces moments symboliques qui ont construit notre relation (entre le Clos et moi), évidemment  qu’à chaque dégustation j’étais transporté par l’élégance, la palette aromatique et la complexité gustative du divin nectar.

Puis en 1986, vint le temps sacré de mon premier voyage en Bourgogne, terre bénie des Dieux s’il en est une. Pour bien marquer le coup et afin de graver définitivement dans ma mémoire cette mosaïque qu’est le vignoble de la Côte de Nuits, je décidai de la parcourir à pied.  De Gevrey-Chambertin à Nuits St-Georges 4 heures durant, m’assoyant par moment sur un muret pour prendre quelques notes, déroulant des pellicules de films 35 mm, grapillant quelques baies de pinot noir ou arrachant une feuille au pampre d’un cep de Chambertin (qui me servit de marque-pages dans mon Encyclopédie du vin d’Alexis Lichine), je m’efforçai de retenir l’ordre des villages et l’emplacement de chaque cru. Quand soudain, halte-là ! me voilà devant le portail ouvert du saint sérail, le Clos de Tart. Affublé de tout mon attirail, appareil photo en bandoulière, grosse caméra VHS à l’épaule et sac sur le dos, je m’hasardai à franchir le seuil sur la pointe des pieds en quête du St-Graal. Oh là ! Mal m’en prit… deux molosses érigés en cerbères aux crocs acérés, aboyant et écumant dévalèrent la pente et se mirent hardiment à mes trousses. Chargé comme un mulet, je pris maladroitement jambes à mon cou et rebroussai chemin le souffle court et la peur au ventre. Allais-je finir comme engrais fertilisant au vignoble de mes rêves ? Heureusement par miracle, les quadrupèdes cessèrent net leur course dès que j’eu franchi le portail…j’en fut quitte pour une bonne frousse et une fichue anecdote à raconter ! Comme première visite, ça marque… mais cela allait contribuer à accroître mon lien indéfectible avec le Domaine.

Mon second passage fut heureusement plus serein et enrichissant. Ce fut en 1992, alors que Président de l’Amicale des Sommeliers de Québec, je pilotai un groupe d’une trentaine de d’amateurs avec Monsieur Jean-Gilles Jutras émérite Ambassadeur du vin au Québec. Nous fûmes reçus avec faste par le régisseur de l’époque, M. Henri Perrot et eûmes droit à la visite officielle des lieux ainsi qu’à la dégustation de quelques millésimes dont le vin le plus récent toujours en barrique que notre hôte nous servi à la pipette, comme il se doit.  Je répétai l’expérience en 2004 avec des amis et en 2006, nous fûmes dignement accueillis par le nouveau maître des lieux, M. Sylvain Pitiot.  Je revis ce dernier l’année suivante lorsqu’il fut invité à Montréal pour animer une dégustation verticale d’une douzaine de millésimes. Clos de Tart devint pour moi le grand cru de Bourgogne dont j’allais déguster le plus d’années différentes. Si je ne m’abuse j’ai dû l’apprécier sur plus d’une trentaine de millésimes au fil des ans.

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Lors de ma visite en 1992, reçu par le régisseur, M. Henri Perrot

jean photo2Mon épouse au Clos de Tart avec Sylvain Pitiot et le représentant de la maison Mommessin

jean photo3Avec Gilles Molleur, président de l’Amicale des Sommeliers de Montréal

jean photo4Votre chroniqueur devant le célèbre écriteau en 2006

Ensuite, j’ai ardemment souhaité transmettre ma passion à ceux que j’estime et qui assureront la suite ce cette quête, mon fils François et mon beau-fils Tarek, aujourd’hui directeur de succursale à la SAQ. Ainsi en 2013, lors d’un séjour mémorable en Bourgogne avec Tarek, nous avons sillonné le vignoble en plaine et en coteaux guidé par Patrick Mallard du Domaine éponyme. Comme j’avais initié Tarek aux vertus du célèbre cru de Morey St-Denis, c’était un devoir de s’y arrêter pour la photo habituelle devant la célèbre enseigne. Nous nous y sommes adonnés avec grand bonheur. Enfin, une décennie plus tard soit en ce mois de juillet 2023 c’est avec mon fils François que je suis retourné en Côte d’Or, en prime avec mon petit-fils Alex. Quelques amis s’étaient joints à nous pour cette virée mémorable.  Au premier soir de notre arrivée à Meursault, Jean-François Mestre du Domaine Michelot voulant m’honorer, et qui sait peut-être me piéger, m’a demandé de commenter un vin qu’il me servit à l’aveugle. Ne pouvant identifier la chose…je ne manquai cependant ni d’éloges ni d’expressions admiratives pour qualifier ce vin qui, vous vous en doutez bien, était un Clos de Tart 2001. Sublime et une de plus au compteur! C’est bien ragaillardis que le lendemain nous nous sommes lancés sur le circuit des Grands Crus de la Côte de Nuits, faisant halte à Nuits St-Georges, Vosne-Romanée, Vougeot, Chambolle-Musigny et…Morey St-Denis avec l’arrêt imposé devant mon Domaine fétiche. Nous voilà installés pour le rituel consacré… cette fois plus solennel et émouvant. Sous l’illustre écriteau, trois générations de Chouzenoux : Jean, François et Alex ont pris place sur le robuste banc de pierre devant nos amis médusés, pour la photo devenue traditionnelle. Elle est pas belle, la vie !

jean photo5Avec mon beau-fils Tarek en 2013

jean photo6Trois générations de Chouzenoux en 2023. De gauche à droite, François, Jean et Alex

jean photo7Ma réaction en découvrant le Clos de Tart 2001 que l’on m’a servi à l’aveugle et que je n’ai pu identifier

Pendant que nous prenions la pose je me remémorais ma première dégustation du Clos de Tart au début des années 1980, la première fois où j’ai franchi l’enceinte en 1986, les multiples moments d’émotions à déguster ce vin, mes visites privilégiées au Domaine, les formidables rencontres avec les œnologues et autres personnels de la maison Mommessin, pour m’y retrouver finalement quarante ans plus tard avec fils et petit-fils…la boucle est bouclée. 

Ce point d’orgue clôturait deux jours d’une virée dont je vous reparlerai.

Voilà, cette chronique un brin plus personnelle se veut un hommage aux hommes et aux femmes qui ont façonné au fil des siècles un vin de légende. C’est également un témoignage de ce que le vin doit être avant tout, un produit de partage et de convivialité.

Je termine en disant que parmi mes dernières volontés que j’ai communiqué à mon proche entourage, est celle d’entendre une dernière fois La Supplique de Georges Brassens, un verre de Clos de Tart à la main ou injecté sous perfusion. Bon… rien ne presse !

À propos de l' auteur

Jean Chouzenoux a travaillé 35 ans à la Société des alcools du Québec, y a occupé différents postes de gestion aux ventes, aux communications et à la commercialisation.
 
Membre de nombreuses confréries bachiques et gastronomiques et animateur de tournées viticoles dans le vignoble européen. Juré dans les concours internationaux de dégustations, fut chroniqueur sur les vins à la radio et collabore ponctuellement au magazine Prestige de Québec.
 
Installé à  Nice depuis 2010, où il continue d'entretenir sa passion pour le vin.