Le vin est un produit de partage! Comme c’est cliché. Mais que voulez-vous, parfois ce sont ces phrases tout droit sorties des livres des années 60 où les descriptions sur le vin avaient des tournures folkloriques, voire ésotériques, qui vous viennent à l’esprit quand le moment de grâce opère. En fait, quand l’homme avec son histoire transcende le digne breuvage qu’il nous tend et nous commente avec force passion… on se délecte du nectar et des paroles du conteur. Tous ceux qui ont eu le privilège de pénétrer dans l’antre de vignerons québécois ou européens ont connu ces moments coup de cœur où au-delà du cru qui leur est offert, c’est la truculence, la passion ou l’émotion de leur hôte qui les a fait vibrer.
Il y a quelques semaines j’étais à Lausanne pour le Mondial du Chasselas, cépage porte-étendard de la Suisse romande, invité pour l’occasion de déguster ce qu’il se fait de mieux en la matière chez les Helvètes mais aussi en Allemagne, en Alsace et dans le Nouveau-Monde.
L’opportunité aussi de parcourir le vignoble vaudois, l’un des plus du monde, construit en terrasses qui plongent directement vers le lac Léman. Et de pousser un peu plus loin dans le Canton de Neufchâtel, au bord du lac homonyme et au pied du Jura.
Et c’est là, plus précisément au Château d’Auvernier que j’ai rencontré Thierry Grosjean, viticulteur (encaveur), historien, philosophe, politicien et père de famille. Il y a 14 générations que l’on fait du vin à Auvernier, propriété d’une soixante d’hectares où l’on produit toute la palette des vins : blanc, rosé, rouge, sec, doux, boisé ou pas, filtré ou pas. Un arrêt au Domaine et c’est parti pour un marathon de dégustation.
Le très sympathique Thierry Grosjean, propriétaire du Château D'Auvernier
Mais comme je le disais en introduction, c’est le Maître des lieux qui tient lieu de monument dans ce temple du vin. Non pas qu’il porte ombrage aux gens qui l’entourent, encore moins au fruit de leur labeur, mais plutôt à l’art qu’il possède de tous les projeter dans la lumière. Dans la magnifique salle de dégustation Thierry Grosjean, nous commente les vins blancs le nez plongé dans un verre de chardonnay mais argumente aussi sur le développement et les conflits qui ont jalonné l’histoire de sa région; avec panache il s’enorgueillit de ses origines espagnoles ou nous parle avec un certain regret de son incursion dans le monde de la politique. L’évolution de la propriété au fil des siècles, il en frémit d’émotions quand il nous la livre, un verre de rosé Œil de perdrix à la main. Dans la pièce ou nous dînons et qui tient lieu de musée familial Isabelle son épouse, cuisinière et coordonnatrice hors-pair, nous accueille chaleureusement et sur la longue table trônent trois magnums de pinot noir. Quand Isabelle lui donne le Top, Thierry se lève solennellement, pousse la chaise, arpente la salle et de sa voix de stentor nous résume l’histoire familiale, immenses tableaux des ancêtres accrochés aux cimaises de la salle à manger, pour étayer ses dires. Pièce totalement « dans son jus », comme disent les européens pour illustrer le fait que rien n’a été touché ni même repeint depuis 1745, date de l’ajout de la dernière annexe de cette immense demeure, que dis-je de ce Château! Moment venu des accolades de fin de soirée, Thierry Grosjean y va d’un dernier effet de toge en nous commentant son somptueux pinot gris vendanges tardives, à l’étiquette dont les contours sont volontairement empruntés au Grand Cru, Roi du Sauternais.
Et c’en est fait d’un autre moment de convivialité inoubliable vécu à l’ombre des barriques et à classer dans le grand livre des souvenirs viti-vinicoles.
Note : Les vins suisses ne sont pas légion à la SAQ, en fait très peu de vins débouchent sur le marché de l’exportation, mais osez… vous serez conquis.
Jean Chouzenoux