samedi 20 avril 2024
Le futur classements des vins de Saint-Émilion de plus en plus chahuté

Le futur classements des vins de Saint-Émilion de plus en plus chahuté

Nouveau rebondissement dans le classement 2022 de Saint-Émilion, dont l’examen est en cours : après les châteaux Cheval Blanc et Ausone, c’est un autre Premier Grand Cru Classé ‘A’, Château Angélus, qui décide de retirer sa candidature.

Les communiqués de presse se succèdent avec des annonces spectaculaires. Un certain malaise semble régner sur Saint Emilion et son classement qui a pourtant participé dans le passé à faire la renommée de cette historique appellation.

Pour rappel, le premier des classements des vins de Saint-Émilion a été effectué en 1955, à la suite d'une décision prise en 1954 par le Syndicat viticole des vins de Saint-Émilion. Il s'agit d'un classement des crus de l'appellation saint-émilion-grand-cru et non de ceux de l'appellation saint-émilion qui n'a pas de classement officiel.

Différence notable avec Saint Emilion, contrairement au classement de 1855 (classement ne concernant que des vins de la rive gauche de la Garonne), il est révisable tous les dix ans. Depuis sa création, ce classement décennal a été revu six fois : en 1959, 1969, 1986 (les dix ans n'ont pas été respectés), 1996, 2006 et 2012. Le prochain est attendu pour septembre 2022 mais il fait « causer dans la campagne ».

Le Classement se découpe en trois catégories : les 1ers Grands Crus Classés A (ils sont 4 depuis 2012 et n’étaient que 2 avant (Château Cheval Blanc, Château Ausone, Château Pavie, Château Angélus), les 1ers Grands Crus Classés B au nombre de 9 et 69 Grands Crus.

À la suite d'un imbroglio judiciaire très dense, qui faisait suite au classement de 2006, le règlement a été modifié et il se déroule désormais sous l'autorité de l'Institut Nationale des Appellation d’Origine (INAO) et du Ministère de l’Agriculture au travers d’une commission ou siège aussi les acteurs locaux du vignoble. C'est sous cette autorité que le classement de 2012 a été établi, qui consacre 82 propriétés après dix mois d’audits divers.

Afin d’éviter les conflits un cahier des charges très précis a été établis avec une notation sous forme de points ou les vins sur plusieurs millésimes étaient jugés mais aussi rentrait en ligne de compte d’autres caractéristiques comme l’œnotourisme, entre autres.

Le mardi 4 janvier, le Château Angélus vient d’annoncer le retrait de sa candidature par un long communiqué de presse. Déplorant les procédures « toujours en cours » sur le classement de 2012, rappelant les problèmes qui avaient déjà entouré le classement de 2006 et pointant du doigt le fait que deux propriétés ont déjà posé un recours devant la justice concernant le prochain classement 2022 (les châteaux Croix de Labrie et Tour Saint-Christophe, pour des questions d’assiette foncière, Angélus évoque un « contexte délétère », « en prend acte et quitte ce système en se retirant du classement de 2022 » Le château poursuit : « Naturellement, la décision récente qui, après plus de dix années de procédure, a sanctionné Hubert de Boüard (actuel co-président d’Angélus - NDLR) au paiement d’une amende en lui reprochant sa participation aux instances professionnelles, nous conforte dans ce choix de nous extraire d’une procédure dont la viabilité ne parait plus assurée, et dont les avantages n’équilibrent plus les risques de mises en cause injustes. Avec humilité, Angélus continuera d’inscrire sa trajectoire dans la même quête d’excellence et se consacrera plus que jamais à sa vocation première, que perpétue la famille de Boüard de Laforest depuis huit générations : produire de grands vins propres à traverser les époques, qui soient le reflet de leur appellation, de leur terroir et de chaque millésime. » En conclusion, Stéphanie de Boüard-Rivoal, Présidente d’Angélus, déclare : « Si les valeurs qui nous sont chères et la dynamique dans laquelle Angélus est aujourd’hui engagé nous conduisent à considérer le système actuel comme inadapté aux enjeux de notre domaine et de son appellation, l’attachement de notre famille à la région et à la réputation de ses vins demeure intact. Angélus continuera à faire rayonner Saint-Emilion et les grands crus du bordelais sur tous les continents, et sous toutes les latitudes. »

Reste que cette défection s’ajoute aux retraits de deux autres prestigieux domaines classés « premier grand cru » ​en catégorie A – soit le sommet de la pyramide –, les châteaux Ausone et Cheval-Blanc. La partie terroir et dégustation occupait une part trop minime par rapport au réceptif ou aux réseaux sociaux​, avait justifié, en juillet, Pauline Vauthier qui dirige Ausone. Ces deux châteaux, classés A depuis 1955, reprochent notamment au cahier des charges de ne pas accorder une place suffisante à la dégustation des plus anciens millésimes : seuls ceux ayant été produits après 2004 sont actuellement pris en compte. Sur les quatre propriétés figurant en catégorie A, il ne reste donc que le château Pavie à maintenir sa candidature. Elle suit son cours​, indique-t-on dans l’entourage de Gérard Perse, à la tête de ce château.

Indépendamment de ces grands châteaux qui peuvent sans doute se permettre de ne pas apparaître dans ce classement, pour nombre de propriétés y figurer ou non engendre d’importantes conséquences : sur le prix de vente des vins, sur la valeur immobilière des terres, sur la capacité à investir… Autrement dit, il peut être très lucratif d’en faire partie, même si pour une entreprise familiale le risque pourrait porter sur la transmission. En effet, bon nombre de propriété sont vendues faute d’héritier pouvant indemniser le reste de la famille lors d’une succession. Cependant, l’INAO qui supervise ce classement, note ainsi avoir reçu de nombreuses candidatures, il y a davantage de domaines candidats en 2022 que pour le classement de 2012. Cela montre l’émulation et l’investissement collectif à Saint-Emilion.

L’INAO conteste en tout cas les critiques formulées : Selon le règlement de 2022, les notes relatives aux critères concernant le terroir et le vin représentent 70 % de la note finale en grand cru classé et 60 % en premier grand cru classé.

Mais la grande question qui se pose maintenant à  la Commission est : est-ce que les défections des trois plus grandes propriétés vont porter un fort préjudice au futur classement 2022 ? « C’est à redouter. Cette nouvelle fait mal à tout le monde, c’est sûr, mais notre état d’esprit est de continuer à aller de l’avant, et de revendiquer la force collective de ce classement, admettait en juillet dernier, Franck Binard, le directeur du Conseil des vins de Saint-Emilion, après les retraits d’Ausone et Cheval-Blanc. Maintenant, avec l’abandon d’Angélus, le président du Conseil des vins, Jean-François Galhaud, regrette, d’un point de vue collectif, cette décision, motivée par des raisons personnelles notamment en raison de la condamnation récente faite à Hubert de Boüard. Mais il reste persuadé que ce classement révisable tous les dix ans demeure un formidable outil de challenge, d’émulation et de modernité​. »

Malgré ce discours qui se veut rassurant, il est à parier en tous les cas, que les membres de la commission souhaitent que ce feuilleton à rebondissement connaisse des jours meilleurs mais il est vrai qu’après les critiques subits sur le classement de 2012, une révision de certains critères en tenant compte des principales remarques des candidats auraient permis d’éviter cette mauvaise publicité autour du nouveau classement. Et à terme qu’elle légitimité quand les principaux favoris ne concourent pas ? Aujourd’hui, personne ne peut dire si la nouvelle hiérarchie sera bien née mais la gestation de ce nouveau bébé bordelais est, elle, bien chaotique… Suite au prochain épisode.

Source : Mc Viti

À propos de l' auteur

Âgé de 45 ans, ingénieur agricole, diplômé de l’IHEDREA (Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Economie Agricole en 1995), j’ai poursuivi mes études par un master de Gestion, Droit et Marketing du secteur Vitivinicole et des Eaux de Vie dépendant l’Université de Paris 10 Nanterre et de l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin - 1997). Lire la suite...