vendredi 26 avril 2024
Le cri du cœur des agriculteurs québécois

Le cri du cœur des agriculteurs québécois

Des agriculteurs d’un peu partout au Québec lancent un cri du cœur au gouvernement provincial devant la hausse de l’évaluation de leurs terres, frôlant parfois les 200 %, qui pourraient les forcer à mettre la clé dans la porte.

«Cette terre appartient à notre famille depuis 1703. Mon frère Christian et moi sommes la sixième génération en ligne directe à la cultiver, et peut-être bien la dernière», lâche, dépité, Louis Forget, copropriétaire d’une ferme laitière à Laval.

L’agriculteur de 33 ans a appris dernièrement que sa terre, située dans l’est de l’île Jésus, sur laquelle il élève une centaine de vaches ne vaut plus 421 000 $, comme c’était le cas cette année.

Elle est maintenant évaluée à 1 160 000 $, selon la nouvelle évaluation foncière tombée au cours des dernières semaines.

«Certains pensent que l’on est millionnaires, mais c’est faux parce que personne n’achètera ma terre à ce prix-là. Cette hausse est déraisonnable, c’est une expropriation légale !» dénonce le colosse de 6 pieds et 4 pouces.

Adoucir la hausse

L’augmentation de la valeur du terrain portera en 2019 son compte de taxes municipales à 12 000 $.

Heureusement, Laval a mis en place une taxation distincte pour adoucir la hausse moyenne de 75 % de la valeur des terres agricoles sur son territoire.

Malgré ça, les taxes des lots agricoles grimperont de près de 8 % en moyenne par rapport à 2018.

«Sans l’aide du gouvernement provincial (voir plus bas), ça revient à près de 7500 $ de taxes à payer, alors que ma terre me rapporte au maximum 11 000 $. Quel est l’intérêt de travailler de 6 à 19 h, 7 jours sur 7 pour ça ?» s’interroge M. Forget.

Cette question, David Gillespie se la pose aussi depuis qu’il a appris que la valeur d’un de ses deux lots va exploser de 175 %.

«Je suis un passionné d’agriculture depuis 42 ans, mais là, je vais arrêter si je ne reçois pas l’aide du gouvernement», lance ce producteur de fruits, légumes et céréales de L’Isle-aux-Allumettes, en Outaouais.

Pas de taxation distincte

Dans son cas, la Municipalité n’a pas adopté de taxation distincte pour les terres agricoles, mais a réduit le taux pour l’ensemble des propriétés.

M. Gillespie se retrouve néanmoins avec une hausse de taxes de 71 %.

«C’est parfaitement inéquitable, puisqu’à côté de ça, les taxes des résidences n’augmenteront que de 3 %. Ce que je comprends, c’est que les 21 agriculteurs de l’île ne font pas le poids face aux 1200 personnes qui y habitent», dénonce-t-il.

Une amertume que partage Léo Hurtubise, un producteur de soya de Rigaud.

Aide du ministère ?

Lors de la présentation du budget de la petite ville de la Montérégie, il a interpellé le maire Hans Gruenwald Jr alors que, là non plus, aucune taxation distincte n’atténue la hausse de 98 % de la valeur des lots agricoles.

«Si on vous donne une taxe spéciale, il faudra compenser avec les taxes des autres citoyens», a répliqué M. Gruenwald, qui a plutôt appelé les agriculteurs à se tourner vers le ministère de l’Agriculture pour réclamer des aides supplémentaires.

«Après le nouvel accord d’échange avec les États-Unis qui va nous coûter cher, ça commence à faire beaucoup dans la cour du ministère», déplore M. Hurtubise.

Le calcul remis en question

Les agriculteurs réclament un changement des méthodes de calcul d’évaluation de leurs terres afin d’éviter les hausses brutales et coûteuses.

«Le problème, c’est la spéculation. Des fonds d’investissement ou des promoteurs paient cher pour des terres et font monter les prix au détriment des fermes familiales et de la relève», dénonce le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau.

Celui-ci fait remarquer que, si ces transactions «déconnectées de la réalité» sont prises en compte dans les calculs d’évaluation, ce n’est pas le cas des legs familiaux qui se font à l’inverse à bas prix.

L’UPA suggère donc de baser la taxation des lots sur une évaluation de ce qui est produit sur la terre — la valeur agronomique –— plutôt que sur la valeur spéculative.

Bonnes perspectives ?

Pourtant, si l’on en croit la société d’État Financement agricole Canada (FAC), qui produit chaque année un bilan de la valeur des terres agricoles, la spéculation n’est pas le facteur principal expliquant la hausse des évaluations.

«Selon nos études, la montée des prix est plutôt liée à l’augmentation des revenus agricoles et aux bonnes perspectives de l’agriculture, insiste Jean-Philippe Gervais, économiste en chef de FAC. D’ailleurs, si vous regardez bien, la plupart des hausses sont en Montérégie, où la productivité est la meilleure au Québec.»

Libre-échange

Un avis que ne partage pas un producteur laitier de Laval, Louis Forget.

«Les perspectives étaient bonnes il y a quelques années, mais plus aujourd’hui, surtout après les nouveaux accords de libre-échange», dit-il, en référence à l’ouverture du marché canadien aux produits laitiers américains.

M. Forget estime pour sa part qu’une partie de l’explication de l’envol des évaluations à Laval vient du fait que la Ville fait elle-même l’évaluation des terres agricoles, alors qu’ailleurs elles sont menées par des évaluateurs indépendants.

«Quand la Ville nous dit qu’elle nous fait cadeau d’une taxation distincte, en réalité, elle nous fait payer ce cadeau», avance-t-il, amer.

Aide provinciale insuffisante

Les agriculteurs peuvent bénéficier du Programme de crédit de taxes foncières agricoles (PCTFA) du gouvernement provincial afin de réduire les montants à verser aux municipalités. Pour y avoir droit, ils doivent dégager un certain profit agricole de leurs terres. Le problème, pour les agriculteurs, c’est que l’enveloppe de ce programme n’augmente que de 5 % par an maximum, alors que la croissance de la taxation des terres agricoles est souvent supérieure.

Source: Lou White, via TVA Nouvelles du 15 décembre 2018