jeudi 28 mars 2024
La privatisation de la SAQ à éviter, vue par l'ex-président Gaétan Frigon

La privatisation de la SAQ à éviter, vue par l'ex-président Gaétan Frigon

L’ex-PDG de la SAQ, Gaétan Frigon, croit que Québec devrait clairement fermer la porte à la privatisation de la société d’État puisqu’il est « mathématiquement impossible que le privé donne plus d’argent au gouvernement ».

« C’est impossible que le privé vende le vin moins cher et donne deux milliards aux gouvernements. Même s’il baissait les charges d’exploitation de 100 millions, cet argent ne serait pas retourné à l’État, il servirait à rembourser l’acquisition des succursales », calcule le gestionnaire qui a passé 40 ans dans la vente au détail, chez Metro et Steinberg, notamment.

Il comprend que Québec doive évaluer divers scénarios à la suite des critiques essuyées ces dernières années. Mais il ne voit pas comment la privatisation pourrait se faire. « Tu fais quoi avec les succursales ? Avec les baux de 10-15 ans ? Avec les 7000 employés ? Ça provoquerait une révolution sociale. On pense que les étudiants ont fait du grabuge avec leurs carrés rouges… »

Celui qui a dirigé la SAQ de 1998 à 2002 rappelle qu’après des questionnements semblables, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont maintenu leurs monopoles. « Qu’on foute donc la paix à la SAQ. La privatiser serait une grande erreur. »

MISE EN MARCHÉ « À L’ENVERS »

Étant « l’un des rares » à avoir vendu de l’alcool à la fois pour le privé et le public, Gaétan Frigon estime être bien placé pour comparer les deux approches. À son avis, le privé est meilleur « dans tout, sauf le vin ».

Car le vin requiert une « mise en marché à l’envers », résume l’homme qui aura 77 ans en avril. « Il ne faut pas faire de choix en fonction des fournisseurs, mais uniquement en fonction des consommateurs, car il n’y a pas deux vins pareils. » La vente d’espace sur les rayons, par exemple, est la pire chose à faire pour tuer le marché, croit-il. Seuls les gros fournisseurs ont les moyens de payer, ce qui réduit le choix offert.

Pour étayer ses dires, il raconte l’histoire du cidre. « Quand le privé a eu le droit de vendre de l’alcool, il a toujours “fuckaillé” ça. Dans les années 70, les épiciers ont pu vendre du cidre. Ils vendaient l’espace sur les étagères, ils exigeaient des caisses gratuites, des rabais en dessous de la table. Ça a duré trois ou quatre ans, ils ont tué le marché et ils n’en vendent plus. » 

LES BAISSES DE PRIX DES DERNIERS MOIS

« La SAQ n’avait pas le choix. Après la commission Robillard et le rapport de la vérificatrice générale, tout le monde était sur le dos de la SAQ parce que ses prix étaient trop élevés. Ça permet de dire à Québec : “On se prend en main, vous n’avez pas besoin de nous privatiser.” »

LA NÉGOCIATION DES PRIX

« Ce n’est pas vrai que la SAQ doit négocier avec ses fournisseurs. Il y a des bouteilles à 10 $ et des bouteilles à 100 $. Vide, la bouteille coûte la même chose et il a fallu le même nombre de raisins pour la faire. Ce n’est pas à la SAQ de décider si un vin vaut 10 $ ou 100 $. C’est au producteur de fixer un juste prix et de prendre le risque. Si ça ne se vend pas, la SAQ va le lui retourner. Tu ne feras jamais croire à quelqu’un qu’un vin à 3,50 $ en vaut 20 $. »

LE SCÉNARIO D’UN MODÈLE MIXTE PRIVÉ/PUBLIC

« On oublie souvent que le privé vend déjà 50 % de l’alcool au Québec. Presque toute la bière est vendue dans les dépanneurs et les épiceries, et le privé vend 350 millions de dollars en vin. C’est un modèle qui a du bon sens, d’ailleurs, on le fait déjà ! Permettre à des indépendants de vendre du vin [dans de petites boutiques], ce serait une bonne façon pour la SAQ de montrer qu’elle fait une meilleure job que le privé. Je n’ai pas peur que la SAQ en crève. »

LA CARTE DE FIDÉLISATION INSPIRE

« On se demande si c’est nécessaire parce que la SAQ est un monopole ? Avec le même raisonnement, on n’a pas besoin d’ouvrir le dimanche, on n’a pas besoin d’accepter les cartes de crédit. Voyons, la SAQ a de la concurrence. Elle vient des fleuristes, des chocolateries, de tous ceux qui vendent des produits de luxe. Moi, dans le temps, j’avais refusé de faire entrer la carte Air Miles, mais c’était moins connu qu’aujourd’hui, ça coûtait cher, et les cartes de fidélisation n’avaient pas la même importance qu’aujourd’hui. »

Source: La Presse+ du 11 mars 2017

NOTE DE L'ÉDITEUR

Pour une des rares fois, je suis d'accord avec lui!