jeudi 28 mars 2024
Un diplôme unique en France: «Vers le terroir par la dégustation géosensorielle»

Un diplôme unique en France: «Vers le terroir par la dégustation géosensorielle»

Mettre en avant les spécificités des grands crus du patrimoine, tel est le but de cette formation inédite, lancée au printemps par l’université alsacienne.

C'est une petite révolution qui se joue dans l’enceinte de l’université de Strasbourg (Bas-Rhin). Selon les mots de son président, Michel Deneken, il s’agit même d’un « enjeu de civilisation ». Rien de moins. Au printemps 2018, il a en effet lancé le premier diplôme universitaire d’un nouveau genre intitulé « vers le terroir par la dégustation géosensorielle », devant un parterre choisi de la viticulture française.

Jamais personne n’avait osé reconnaître officiellement l’apprentissage de la dégustation, et donc mettre en avant le goût, au même titre que des connaissances historiques ou géographiques. Entre autres personnalités, on remarque assis sur les bancs d’école ce jour-là : Pierre Lurton, directeur des châteaux d’Yquem et de Cheval Blanc ; Aubert de ­Villaine, cogérant de la Romanée-Conti ; le consultant Stéphane ­Derenoncourt, mais aussi des figures du terroir comme Jacky ­Rigaux ou la restauratrice Dominique Loiseau, marraine du jour.

Pendant toute une journée, tous sont venus découvrir ce qu’il y a derrière l’intitulé complexe de cette nouvelle formation. Lancer un diplôme de dégustation est un acte politique fort au moment où le vin est souvent assimilé à n’importe quel autre alcool, et c’est bien ainsi que le président de l’université l’entend : enseigner la découverte des vins de lieux, « c’est donner les clés de compréhension de ce produit millénaire. C’est aussi lutter contre tous les obscurantismes », poursuit Michel Deneken.

L’enjeu du savoir-goûter

Bref, apprendre à déguster est une chose, mais ici l’élève se retrouve à la faculté. Il lui appartient de comprendre l’enjeu du ­savoir-goûter et même de réapprendre à goûter. Il s’agit, à l’arrivée, de mettre en avant les spécificités des grands vins du patrimoine. Jean-Michel Deiss, l’un des initiateurs de ce diplôme, dit qu’« il faut éduquer le consommateur à une forme civilisationnelle ». Jean-Robert Pitte, président honoraire de la Sorbonne, enchaîne : « Le terroir est un lien entre la géographie physique et la géographie humaine. »

Unique en France, ce diplôme universitaire s’adresse aux professionnels mais aussi aux passionnés de grands vins. D’où le format original de la formation, qui doit permettre à chacun de dégager du temps dans son agenda : une semaine par mois pendant sept mois.

Afin d’illustrer l’une des méthodes pédagogiques qui seront prodiguées, les formateurs ont organisé une dégustation géosensorielle dans des verres noirs. L’exercice consiste à démontrer qu’un vin de lieu fait précisément parler la spécificité de son origine. Il ne s’agit plus intellectuellement de chercher à trouver l’identité du cépage qui le compose, mais de ressentir physiologiquement le vin. Est-il froid ou chaud, doux, rugueux ou lisse ? Ce sont les bases qui définissent le ressenti d’une géologie.

Un vin issu de granit, par exemple, se révèle plus lumineux et vertical qu’un vin issu d’argiles, plus épais et hiératique. On comprend pourquoi des cours de neurosciences sont prévus dans ce programme aussi original que riche, et qui vise à lutter contre les a priori et facteurs multiples qui nous coupent de la faculté de goûter. Le goût est un sens complexe, comme la vue ou l’ouïe, mais souvent oublié par notre civilisation, rappelle Michel Deneken.

Source: Monde.fr du 21 juin 2018