mercredi 24 avril 2024
Les storytellings derrière les étiquettes de vins

Les storytellings derrière les étiquettes de vins

Avez-vous déjà remarqué que les viticulteurs recourent à un nombre limité de visuels pour orner leurs flacons ? Un spécialiste nous explique pourquoi.

Le packaging est souvent considéré par les professionnels du marketing comme « le premier média du produit ». Il communique, notamment au travers de son aspect visuel, des messages explicites et implicites au consommateur. Dans la filière vin, l'importance de cet outil de communication est d'autant plus grande que ceux qui en vivent n'ont souvent que peu recours aux autres médias tels que la télévision, la radio ou l'affiche publicitaire. Soit du fait de contraintes légales, soit par manque de budget. Ainsi, c'est principalement au travers du design de leurs étiquettes que les marques de vin vont pouvoir signifier leurs différences et raconter une histoire (réelle ou fictive) à propos de leur produit.

Deux types d'histoires

Le sémioticien François Bobrie a réalisé, cinq années durant, une analyse portant sur le top 100 du Wine Spectator. Il a ainsi identifié deux grandes catégories d'étiquettes narrant deux types d'histoires différentes. La première catégorie est celle des étiquettes dites « égocentrées jupitériennes ». Elles développent des histoires relatives au vin en lui-même, à sa grandeur, son histoire, son savoir-faire. La seconde catégorie est celle des étiquettes dites « conso-orientées bachiques ». Cette dernière regroupe des étiquettes qui ne parlent plus seulement du vin en lui-même, mais évoquent également le consommateur qui le boit et les bénéfices que ce dernier pourra tirer de sa consommation.

L'étiquette Château les Chevaliers ci-dessous rentre, par exemple, dans la catégorie des égocentrées jupitériennes. Au travers de l'utilisation de lettres majuscules, de dorures, d'une gravure de château et d'un visuel de blason, cette étiquette cherche à nous raconter l'histoire d'un grand vin prestigieux, ancien, et aristocrate. L'étiquette Château Clerc Millon reprend globalement les mêmes codes en termes de typographie et de couleurs. Mais au travers de la représentation de danseurs, elle évoque également le thème de la fête et donc certains des bénéfices associés à ce moment de consommation, tels que la joie ou l'ébriété.

Quatre storytellings égocentrés

Récemment une étude réalisée sur 166 étiquettes de la Barossa Valley est venue compléter cette typologie en identifiant quatre sous-types d'étiquettes égocentrées. L'étude permet de vérifier que les étiquettes australiennes se différencient au travers de quatre grands thèmes d'illustration qui s'opposent. Une partie des étiquettes fait le choix de représenter le site de production tandis qu'une autre catégorie met en avant le vigneron ou le créateur du vin. Par ailleurs, certaines étiquettes utilisent des codes visuels évoquant le thème de la culture, tandis que d'autres cherchent à évoquer le thème de la nature. À l'intersection de ces deux oppositions émergent quatre storytellings de marque :

  • Producteur/culture : storytelling du « vin œuvre d'art ». Le vin est présenté comme une œuvre d'art dont les qualités intrinsèques proviennent du savoir-faire et de l'inspiration d'un vigneron artiste.
  • Producteur/nature : storytelling du « vin paysan ». Le vin est présenté comme un produit rustique dont les qualités intrinsèques proviennent du travail artisanal d'un vigneron paysan disposant d'une connaissance et d'une connexion privilégiée avec la nature.
  • Lieu de production/culture : storytelling du « vin de château ». Le vin est présenté comme un produit culturel dont les qualités intrinsèques proviennent d'un savoir-faire traditionnel localisé dans un château/domaine prestigieux et historique.
  • Lieu de production/nature : storytelling du « vin don de la nature ». Le vin est présenté comme un produit naturel dont les qualités intrinsèques proviennent des caractéristiques exceptionnelles d'un environnement naturel spécifique.

La typologie proposée semble pertinente, quelle que soit la région analysée. Ainsi, il est très facile d'identifier, hors de la Barossa Valley, des étiquettes utilisant ces storytellings. Opus One (Napa Valley, États-Unis) reprend, par exemple, le storytelling du vin comme œuvre d'art. L'étiquette représente les portraits en buste des deux « créateurs » du vin sous la forme d'une esquisse rapide. Elle nous montre également leurs deux signatures suggérant ainsi que le vin est une œuvre originale signée par les deux artistes qui l'ont créé.

Le vin Ben Marco malbec (Mendoza, Argentine) raconte l'histoire du vin paysan. L'étiquette nous montre une photographie en noir et blanc des mains d'un vigneron tenant un sécateur et une grappe de raisin. Château Libertas (Western Cape, Afrique du Sud) reprend quant à lui le storytelling du vin de château. L'étiquette utilise une police de caractères gothiques imitant la calligraphie des moines copistes du Moyen Âge ainsi qu'un papier jauni pour suggérer l'ancienneté et le caractère historique du château. Enfin, Parinacota (Maule Valley, Chili) nous raconte l'histoire du vin comme don de la nature. Ici ce n'est plus le vigneron ou le château qui est mis en scène mais l'environnement naturel du vin (volcans).

Source: Lou White, via Le Point Vin du 26 juillet 2017