mardi 19 mars 2024
Amendes de stationnement: plaidez une erreur de bonne foi

Amendes de stationnement: plaidez une erreur de bonne foi

Les panneaux de stationnement qui s’accumulent sur le un même poteau vous donnent mal à la tête ? Bonne nouvelle : la Cour d’appel du Québec vient de reconnaître la possibilité de plaider une erreur de bonne foi pour échapper à une amende de stationnement, une avenue impossible à emprunter auparavant. « Une nouvelle époque commence », selon une professeure de droit de l’Université d’Ottawa, alors que le système de justice pourrait être frappé par un tsunami de dossiers à entendre.

UNE PORTE GRANDE OUVERTE

Jusqu’à présent, les infractions en matière de stationnement ne pouvaient être contestées sur la base d’une erreur. « On ne peut faire valoir aucune défense, car la déclaration de culpabilité découle de “la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé” », résumait la Cour d’appel dans sa décision rendue la semaine dernière. Mais ce jugement marque un tournant dans la façon de traiter des infractions comme le stationnement, mais aussi d’autres incartades mineures qu’il était virtuellement impossible de contester. « Il faut éviter que le système de justice pénale soit source d’injustice ou soit perçu comme tel », a écrit la Cour d’appel.

« IMPACT POTENTIEL IMPORTANT »

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a pas voulu commenter le jugement. « Nous en sommes à l’étape de l’analyse », a indiqué son porte-parole, Me Jean-Pascal Boucher. Devant la Cour d’appel, l’organisation avait toutefois mis en garde concernant l’« impact potentiel important » d’ouvrir cette porte juridique. « Elle entraînerait des contraintes majeures, et souvent insurmontables, dans le travail des agents de la paix ou des préposés de stationnement. » Toujours selon le DPCP, « 420 dispositions de sanction réparties dans 125 lois et 50 règlements » pourraient être touchées par cette décision. La Ville de Saint-Jérôme, pour sa part, a fait savoir par la voix de son avocat, Me Carl-Éric Therrien, qu’elle « va étudier les différentes options qui s’offrent à elle, incluant l’appel » devant la Cour suprême du Canada.

« J’AI PRIS LA PEINE DE REGARDER »

La cause qui a entraîné ce virage est banale : un jour de décembre 2014, Louise Sauvé, 56 ans, a stationné sa voiture devant un casse-croûte de Saint-Jérôme le temps d’y entrer pour manger une poutine. Elle a mis 75 cents dans le parcomètre qu’elle croyait lié à son espace de stationnement, mais elle a commis une erreur se faisant. En ressortant, il devait lui rester huit minutes, mais elle avait déjà une contravention de 43 $ sur son pare-brise. « Je fais attention parce que j’en veux pas de ticket », a-t-elle dit devant un juge municipal, en 2015. « J’ai pris la peine de regarder comme il faut. » Mais l’erreur est humaine et Mme Sauvé en a commis une.

« INJUSTE ET INÉQUITABLE »

Mme Sauvé a perdu sa cause devant le juge municipal, qui a suivi le courant en refusant de considérer l’erreur comme étant une défense suffisante pour échapper à cette contravention. La femme de Sainte-Sophie, dans les Laurentides, a toutefois persisté en portant sa cause au niveau suivant, devant la Cour supérieure. Le juge Guy Cournoyer lui a donné raison. L’état du droit fait en sorte qu’« une personne qui, comme l’appelante, commet une erreur sincère et raisonnable, en effectuant son paiement dans le mauvais parcomètre, doit être trouvée coupable ». « Une condamnation dans ces circonstances paraît injuste et inéquitable », a-t-il souligné. Cette décision a été portée en appel par la Ville de Saint-Jérôme.

MANQUE DE CLARTÉ

Techniquement, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont resserré une catégorie d’infractions qualifiées d’infractions à responsabilité absolue, qui ne permettent virtuellement aucune défense. Pour qu’une infraction soit considérée comme appartenant à cette catégorie, la loi ou le règlement doit être « clair » à cet effet, a tranché la Cour d’appel. Le règlement de stationnement de Saint-Jérôme ne l’était pas, résume Me Khalid M’Seffar, qui a défendu Mme Sauvé devant la Cour d’appel. « Ma cliente, elle est très contente. Il faut la saluer parce que c’est elle qui a décidé que ce n’était pas juste et qui a contesté », a-t-elle dit. Il n’a pas été possible de lui parler puisqu’elle se trouve à l’étranger.

« MONTRÉAL VA ÊTRE ANXIEUSE »

Selon Jennifer Quaid, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, « une nouvelle époque commence ». « Jusqu’à cette confirmation par la Cour d’appel, c’était pendant longtemps pris pour acquis que les infractions de stationnement étaient des infractions de responsabilité absolue », a-t-elle dit en entrevue. « Ça a toujours été pris pour acquis sans nécessairement faire une analyse approfondie de l’infraction. » Selon elle, l’importance que les citoyens se sentent écoutés par leur système de justice a joué dans la décision de la Cour d’appel. Mais les impacts pourraient être grands : « Je pense que la Ville de Montréal va être anxieuse. » La municipalité distribue des centaines de milliers de contraventions de stationnement chaque année. « Nous ne pouvons présumer d'une augmentation à venir en raison de ce jugement », a indiqué par courriel Gonzalo Nunez, relationniste de la Ville. « La cour municipale dispose des ressources nécessaires pour traiter les dossiers des constats d'infraction qui sont contestés devant un juge. »

Source: La presse du 22 février 2018