Le menu du restaurant existe depuis quelque temps. Le cuisinier qui exécute le menu connaît bien ce dernier. Ça fait des milliers de fois qu'il fait cet « effiloché de canard à la cervoise ». L'assaisonnement, mille fois répété, est au point sublime qu'il peut dorénavant le faire les yeux fermés.
Tellement que maintenant, le cuisinier le fait par cœur; une pincée de ci, une touche de ça, et ça tombe pile. Tellement qu'il n'a plus besoin de goûter pour connaître le résultat. Et qu'il ne goûte plus, tellement il est sûr de son coup.
Tellement qu'il est confiant, comme un acquis dans la vie, comme dans la vie de couple où l'un ou l'autre tient pour acquis qu'on n’a plus besoin de s'occuper de l'un et de l'autre.
L'« effiloché de canard à la cervoise » a parfois besoin de se faire demander si tout va bien… Peut-être aimerait-il quelquefois avoir un peu plus de branches de thym. De temps en temps, il espère recevoir une attention particulière... qui ne vient pas, car le cuisinier connaît trop bien sa routine.
Ne serait-ce pas aimable si le cuisinier, de temps à autre, demandait à l'effiloché : « Es-tu bien assaisonné aujourd'hui, effiloché? » et le goûtait quelques fois au lieu de le servir machinalement aux clients sans le goûter, jour après jour.
Ne serait-ce pas aimable aussi si ce soir, tard, lorsque vous rentrerez chez vous, collègues cuisiniers, après votre quart de travail, aux petites heures - bien sûr, elle dormira déjà - et que vous la réveilliez doucement... Et quand ses yeux s'ouvriront pour vous apercevoir, vous lui demandiez doucement : « Es-tu heureuse? ».
On ne demande jamais assez à l'autre si elle est heureuse à nos côtés. Soit qu'on est noyé dans la routine, soit affreusement qu'on tient pour acquis qu'elle est là, à nos côtés, pour toujours...
Ou bien on ne le demande pas, par peur qu'elle ne nous réponde par un non.
Cong-Bon Huynh
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