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Trucs pour éviter le gaspillage alimentaire

Trucs pour éviter le gaspillage alimentaire

Le tiers de la nourriture produite sur la planète est gaspillé entre la ferme et l'assiette. C'est un enjeu criant pour l'environnement et une mine d'or à exploiter pour les gens d'affaires. La moitié de ce gaspillage pourrait cependant être évitée à la maison. Nos journalistes Isabelle Morin et Alexandre Vigneault se penchent sur différentes initiatives et astuces pour agir.

Plus du tiers des aliments à la poubelle

Le gaspillage est l'un des principaux problèmes du système agroalimentaire. «Environ de 30 % à 50 % des aliments qu'on produit sont jetés. C'est énorme, fait valoir le nutritionniste Bernard Lavallée, auteur de Sauver la planète une bouchée à la fois. Si on réussissait à éliminer le gaspillage alimentaire, ce serait comme si on doublait l'efficacité du système. On serait capable de nourrir deux fois plus de personnes.»

Sur le plan environnemental, l'impact serait aussi positif. On n'y pense pas toujours, mais mettre des aliments à la poubelle, c'est aussi gaspiller les ressources qui ont été nécessaires pour les produire : terres agricoles, engrais, pesticides, eau... À l'heure actuelle, si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième émetteur de gaz à effet de serre (GES) de la planète après la Chine et les États-Unis, selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO).

«Ce n'est plus un petit sujet sur la table. Il y a une grande prise de conscience», estime Caroline Chevrier, vice-présidente principale chez Edelman Montréal, firme de relations publiques qui a classé la lutte au gaspillage alimentaire parmi les tendances de 2017. «Il y a clairement un engouement pour la question du gaspillage alimentaire, confirme Éric Ménard, blogueur (Tu vas pas jeter ça?) et consultant. Les gens s'informent, mais on n'est pas encore rendu très loin au niveau de la lutte.»

«Tout le monde en parle, mais ce qui n'est pas clair, ce sont les solutions. C'est un problème complexe, de la ferme à la table», explique Sylvain Charlebois, de la Rowe School of Business de l'Université Dalhousie, à Halifax. Il n'y a pas qu'une seule forme de gaspillage, mais plusieurs, à différents points de la chaîne agroalimentaire.

Dans les pays en développement, le gaspillage se fait en amont: dans les champs ou les transports. En Occident, près de la moitié se fait chez le consommateur.

Leaders mondiaux

Le gaspillage alimentaire est un enjeu depuis longtemps au Royaume-Uni. Une campagne de sensibilisation nationale lancée dès 2007 a eu un impact impressionnant: cinq ans plus tard, les ménages avaient réduit leur gaspillage de 21 %. L'investissement a été jugé plus que rentable: chaque dollar investi a généré une économie globale de 420 $.

Pour s'attaquer au problème, le Danemark s'est efforcé de changer la perception de ses citoyens quant aux dates de péremption, en donnant notamment plus d'information sur la durabilité des aliments. Un magasin baptisé WeFood ouvert à Copenhague incarne cette stratégie: il vend - avec succès - des produits périmés. Sous Obama, les États-Unis ont par ailleurs lancé un programme visant à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d'ici 2030. Une réduction de l'ordre de 15 % seulement permettrait de nourrir 25 millions d'Américains, selon l'Agence de protection de l'environnement (EPA).

Qu'en est-il chez nous?

«Le Canada n'est pas un leader sur ce point», estime Caroline Chevrier. Éric Ménard croit aussi que le mouvement est marginal dans notre coin de pays. L'une des initiatives les mieux implantées, la Tablée des chefs, récupère l'équivalent de 500 000 repas dans les restaurants, les hôtels et chez les traiteurs pour la redonner à des gens dans le besoin. «On pourrait tripler ce chiffre, mais on a besoin d'appui pour mettre du monde sur le terrain», dit Jean-François Michaud, fondateur de l'organisme.

Dany Michaud, PDG de Recyc-Québec assure néanmoins que la lutte contre le gaspillage alimentaire est une priorité. Une campagne de sensibilisation auprès des citoyens est prévue pour l'automne. L'organisme a par ailleurs versé 1,5 million en subventions dans la dernière année à des projets commerciaux et communautaires visant à réduire le gaspillage alimentaire.

L'un des bénéficiaires, Banques alimentaires du Québec, a reçu 400 000 $ pour étendre la récupération d'aliments dans les supermarchés partout en province, au profit des plus démunis. Jus LOOP, qui produit des boissons à partir de fruits et légumes qui finiraient à la poubelle, a reçu une aide semblable pour construire une usine de transformation chez son principal fournisseur, le grossiste Courchesne Larose Ltée.

Une mine d'or

Ces aliments que certains voient comme des pertes inévitables, David Côté, cofondateur de LOOP, les envisage comme des occasions. «Il faut que des entrepreneurs comme moi se posent la question : où sont les surplus? Comment les gérer et les transformer en quelque chose qui a du sens?», fait-il valoir.

«Je suis absolument convaincu qu'il y a moyen de commercialiser 100 % des productions agricoles», affirme Éric Ménard, auteur du blogue Tu vas pas jeter ça?.

M. Ménard a d'ailleurs mis sur pied un réseau d'entrepreneurs désireux de valoriser les surplus et éviter les pertes, en visant la complémentarité plutôt que la concurrence. Par exemple, inutile, selon lui, de chercher à valoriser les surplus des supermarchés, que les banques alimentaires exploitent déjà avec efficacité. «Autant combler les trous où il y a du potentiel», résume-t-il.

Du potentiel, il y en a, juge David Côté. «Les surplus sont partout. On jette des tonnes de bouts de légumes, d'épluchures qui pourraient servir à faire des bouillons, des potages. Il y a une mine d'or inexploitée. Ce sont des opportunités d'affaires incroyables.»

Des projets novateurs

La lutte contre le gaspillage alimentaire prend de multiples formes, de la valorisation du concombre croche à l'application de partage de restes. Coup d'oeil.

Donner au suivant

L'industrie alimentaire a pris des mesures pour éviter que de la nourriture encore bonne à consommer ne se retrouve directement à la poubelle. La Tablée des chefs récupère les surplus des hôtels, des restaurants et des traiteurs au profit des plus démunis. «L'idée est d'outiller les chefs pour faciliter la récupération alimentaire», explique Jean-François Michaud, son directeur général et fondateur. Les grands épiciers contribuent aussi à travers le Programme de récupération en supermarchés qui leur permet de donner aux banques alimentaires des aliments qu'ils ne vendront pas. «Le nerf de la guerre, c'est qu'on peut congeler les aliments et les transporter congelés. Chaque jour, la viande non vendue qui atteint sa fin de vie est congelée», explique Geneviève Grégoire, conseillère en communications chez Metro. À elles seules, les chaînes Metro et Super C ont donné 1 million de kilos de nourriture en 2016. La Tablée des chefs estime que près d'un million de Québécois ne mangent pas à leur faim.

Des applications contre le gaspillage

Quelques applications visent à mettre en contact des gens et des commerces qui souhaitent écouler leurs surplus. Bonapp est un réseau (encore tout petit) de frigos où il est possible de laisser ou de prendre gratuitement des aliments encore bons. Eatizz propose aux commerçants d'offrir au rabais à un réseau de clients potentiels des produits qui arrivent à la date limite de vente.

Manger «moche»

Entre 10 % et 25 % des fruits et légumes sont déclassés, c'est-à-dire rejetés, parce qu'ils ne correspondent pas aux critères esthétiques de l'industrie. «Ils ont créé ce besoin pour des aliments parfaits», dit Éric Ménard, consultant en gaspillage alimentaire. Ces carottes trop grosses, ces concombres croches et ces autres aliments dits «moches» retrouvent de plus en plus leur place dans les épiceries sous des étiquettes comme Hors-la-loi, Naturellement imparfaits ou Drôles de fruits et de légumes. L'entreprise Seconde vie propose aussi des paniers d'aliments déclassés. «On souhaite que ça reste marginal», précise André Plante, de l'Association des producteurs maraîchers du Québec, qui juge «préférable de perdre des légumes que de les vendre à perte». Éric Ménard est convaincu que commerçants et producteurs peuvent en tirer profit. «Dire que c'est compliqué et qu'il y a des risques n'est pas un argument suffisant pour ne pas essayer», juge-t-il.

S'éduquer

L'une des façons d'éviter de jeter des aliments, c'est d'apprendre à mieux les cuisiner. IGA offre périodiquement des ateliers intitulés «À vos frigos», au cours desquels un chef de La Tablée des chefs et le spécialiste en lutte contre le gaspillage alimentaire Éric Ménard présentent des recettes et des trucs pour éviter que le contenu du frigo ne finisse à la poubelle. Le site Mange-Gardien propose quant à lui de lutter contre le gaspillage par le partage de photos de «sauvetage alimentaire» sur le mode «avant/après». L'idée est sympathique et peut servir d'inspiration, mais n'est peut-être pas encore au point: on peine à trouver des ingrédients abîmés dans les photos «avant». L'organisme Sauve ta bouffe offre aussi des ateliers et des conférences pour mieux s'outiller pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

Des solutions technologiques

Divers outils technologiques permettront de lutter contre le gaspillage alimentaire dans un avenir plus ou moins proche. Encore peu communes, des étiquettes intelligentes pourraient bientôt sonner le glas de la bonne vieille date de péremption : elles permettraient d'évaluer en temps réel si un aliment est encore bon ou s'il est rendu impropre par la prolifération de bactéries. L'experte en alimentation Caroline Chevrier note que la robotisation pourra aussi donner un coup de main aux épiciers. «On parle d'intelligence artificielle, de robots qui vont être capables de gérer l'inventaire», explique-t-elle. En sachant que, en règle générale, sa clientèle consomme davantage de tel ou tel produit au mois de juin, un commerçant pourrait ainsi mieux évaluer ses achats.

Agir à la maison

Au Canada, 47 % des aliments se perdent à la maison, ce qui représente environ 1500 $ d'épicerie annuellement par ménage. Y voir profite non seulement à l'environnement, mais également au porte-monnaie.

Planifier ses repas

Prendre le temps de prévoir ce qu'on va manger, et faire ses courses en conséquence, permet d'économiser temps et d'argent. «Souvent, quand on parle d'alimentation durable, les gens vont évoquer le fait que nos recommandations sont élitistes - manger bio ou local, c'est cher... Mais tout le monde a les moyens de contrer le gaspillage alimentaire parce que c'est économique», souligne le nutritionniste Bernard Lavallée. Pour prévenir les pertes, faites-vous une liste avant d'aller à l'épicerie et tenez-vous-en à ce qui y est inscrit.

Acheter en quantités raisonnables

Les magasins de type entrepôt, qui vendent en grosses quantités, ne sont pas nécessairement la solution la plus avantageuse. «Les rabais ne sont pas économiques s'ils poussent à acheter des aliments qui seront gaspillés», mentionne Éric Ménard, blogueur et consultant en gaspillage alimentaire. Visez des achats qui reflètent vos besoins réels : plutôt qu'un sac de poivrons, deux font peut-être l'affaire. La question à se poser est: «Va-t-on vraiment manger ce qu'on achète?»

Faire ses courses plus souvent

Les aliments frais ne sont pas conçus pour rester des semaines au réfrigérateur. Si possible, achetez les aliments périssables en petites quantités, mais plus souvent.

Diminuer ses portions

Les trois ou quatre bouchées de nourriture qu'on ne prend pas sont aussi des aliments perdus. Bien sûr, on peut les envoyer au compost, mais ça devrait être une solution de dernier recours.

Faire le ménage du frigo

Une fois par semaine, faites l'inventaire du réfrigérateur pour y repérer les aliments qui ont besoin d'une attention immédiate. «Même quand on a vraiment bien planifié ses repas, c'est certain qu'il y aura des imprévus et des pertes», affirme Bernard Lavallée. Placez les aliments moins frais en évidence pour les consommer rapidement, et cuisinez ou congelez ce qui ne peut attendre.

Congeler

Le congélateur est votre meilleur allié. À peu près tous les aliments se congèlent, que ce soit les surplus de fines herbes ou les légumes et fruits trop mûrs. Même le café et le vin. Les moules à glaçons peuvent recevoir les quantités de pâte de tomates, de sauces ou de pesto non utilisées. Quant aux restants de la veille, on sera peut-être heureux de les retrouver dans deux semaines et de s'épargner ainsi la préparation d'un lunch ou d'un repas.

Source: Lou White, via La Presse du 1er juillet 2017