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Philippe Dandurand, au premier rang dans l’importation de vins au Canada

Philippe Dandurand, au premier rang dans l’importation de vins au Canada

Dans le cadre de nos hommages aux personnalités vinicoles qui ont propulsé la popularité du vin au Québec, des années 60-70-80 à nos jours, voici la première qui lance cette nouvelle catégorie sur SamyRabbat.com.

Lorsque j'ai débuté ma carrière dans les vins & spiritueux, à l'âge de 23 ans, j’ai travaillé pour l'agence Désautels, dirigée par feu Robert Perron. On m'avait attribué les territoires de Montréal-Est, Laval et Laurentides. Déjà à cette époque, sur les territoires de Laval et des Laurentides, les noms de mes deux concurrents que j'entendais sans arrêt étaient Philippe Dandurand et Gaston Godin. Quel que soit le restaurant ou l’hôtel que je visitais, j'apprenais à les connaître par le biais des professionnels de l'époque, qui voulaient bien me raconter leur façon de travailler.

J’apprenais ainsi que Philippe Dandurand travaillait l’après-midi et le soir car il habitait à Saint-Sauveur et qu’il avait pratiquement le contrôle des pentes de ski les fins de semaine. Son but étant de faire découvrir les vertus du Grand Marnier. Il représentait à cette époque des vins tels que le Mouton et Dubœuf.

De toutes les personnalités du domaine vinicole que j'ai croisées sur mon chemin au cours de ma carrière, je peux affirmer que j'ai appris de chacune d’entre elles.

De Danielle Champoux, de l’agence Désautels, j’ai retenu l’importance de remercier chaque personne sur mon chemin.

De Gaston Godin, que j’ai eu le privilège de connaître par le biais de la Distillerie Meaghers, j’ai retenu de débuter ma journée en allant à la destination la plus lointaine de mon programme quotidien. 

De Philippe Dandurand, j’ai retenu sa fermeté, la discipline de ses visites et son audace à toujours regarder les problèmes de face.

Le monde du vin est constitué de milliers de maillons, et nous formons une grande chaîne de passionnés dédiés à la cause de ce jus de raisin fermenté!

C’est une grève de la SAQ qui dura six mois à cette époque qui me fit changer d’agence de vins. Je me suis alors retrouvé avec l'agence des vins & spiritueux Durand, une filiale de la Distillerie Meaghers. Celle-ci était alors dirigée par feu André Girouard, à qui je dois une grande partie de ma formation de commercial vinicole, sauf que j'avais encore le fameux Philippe Dandurand sur mon chemin. 

À cette époque, il était très facile de parler avec les dirigeants de la SAQ. Il suffisait de décrocher le téléphone et de prendre un rendez-vous. Dans les années 70, il se consommait encore du Cinzano à table durant le repas. Il y avait très peu d'agences de vins et l'importation privée était rarissime. Les étiquettes privées étaient populaires, mais tellement fastidieuses à mettre en place pour les clients.

Un jour, le destin m'a placé devant le fameux Philippe Dandurand, dans un restaurant espagnol en face à face, alors que nous étions les seuls clients sur l'heure du midi, et il m'a invité à me joindre à sa table. WOW, pour moi c'était tout un privilège d'avoir ce monstre sacré devant moi, lui qui faisait la pluie et le beau temps sur tous les territoires. À la fin du repas, il m'a proposé de rejoindre les rangs de son entreprise. J'en fus fort flatté mais j'ai décliné sur-le-champ, ce qui le surprit sur le coup. Je lui ai mentionné que nous avions le même défaut, lui et moi, soit d'être très exigeant envers nous-mêmes et surtout envers les autres.

Philippe Dandurand était partout, sur la route, dans les assemblées de l'AQAVBS et croyez-moi, on ne s'ennuyait pas avec ce personnage haut en couleur qui n'hésitait pas à monter au front lorsqu'il voyait de l'injustice. J'ai également appris de lui l'art de se retourner sur un dix cenne en cas de crise majeure avec la SAQ, et chaque fois je me disais : «Chapeau, il vient encore de nous narguer avec classe et audace!». Lorsqu'une rumeur sur sa personne arrivait à ses oreilles, il appelait personnellement les autres agences de vins pour demander qui avait lancé ces ragots.

Il a débuté son agence sur le nom de Sogexport Export, avec cinq associés, dont il racheta les parts. Il a agi comme représentant et directeur des ventes lui-même et de fil en aiguille, il s'est monté un portefeuille assez enviable, ainsi que toute une équipe de représentants qui ne se tournaient pas les pouces, surtout avec un patron très exigeant. Il prit des cours à HEC le soir, après son travail, et fit ses classes sur le terrain.

Sur le terrain, à la dure

Ses galons sur la route ne sont pas venus à lui comme par enchantement. Dans sa jeunesse, entre 24 et 30 ans, il dirigeait une manufacture de meubles en bois pour les bureaux, de casiers en métal pour les écoles et du matériel contre le feu. Il parcourait le Canada et les États-Unis, exposait dans les salons de meubles. Un jour, lors d'une démonstration devant un groupe d'acheteurs importants de New York, il fit la démonstration d'un bureau et il se rendit compte que les tiroirs n'ouvraient pas, malgré ce qu'il affirmait devant ces derniers... Bref, le meuble, qui était impeccable en sortant de l'usine de Montréal, n'avait plus toutes les bonnes caractéristiques promises. À son retour à Montréal, il contacta la compagnie de transport et il demanda au directeur de faire le trajet entre Montréal et New York avec le chauffeur du camion, ce qui surprit ce dernier, qui n'avait jamais eu ce genre de demande. Il accepta et voilà que le jeune Philippe Dandurand, habillé pour la circonstance, partit pour New York avec la cargaison en question.

Une fois arrivé au quai de déchargement à New York, il vit venir vers lui un colosse qui prit les caisses de meubles et les jeta en bas du camion, sans ménagement. Son étude venait de se terminer au quai de son distributeur américain, et il repartit à Montréal en avion. Il fit part de ce qu'il avait vu et ils commencèrent alors des recherches en emballant les meubles dans des caissons rembourrés, qu'ils faisaient tomber d’une dizaine de pieds, afin de s’assurer d’avoir le meilleur emballage qui soit sur le marché. Vous devinez la suite, il remporta toutes les commandes qui suivirent. Une fois de plus l'expérience du terrain l'emporte sur la théorie.

Selon mes sources, notre personnage s'est inspiré des histoires et des biographies de Napoléon et d'autres personnalités, pour n'en retirer que les qualités, ainsi que les défauts.

Afin de savoir si ses clients vendaient ses bouteilles de vin, il faisait la tournée des poubelles très tôt le matin.

J'ai vainement tenté, dans les années 80, de me faire une place dans les réputés complexes Thursday’s, Friday’s, Les Crocodiles et l’Hôtel de la Montage, car il y régnait en Roi & Maître avec ses vins. J'ai fini par assimiler la citation des américains : «If you can't beat them, join them or confuse them». Pour la petite histoire, lorsque l'empereur de la restauration du centre-ville de Montréal, soit Bernard Ragueneau, s'est marié à Senneville, j'étais invité, tout comme ses camarades restaurateurs de Montréal, mais j'étais attablé avec Philippe Dandurand à la table d'honneur. À partir de ce moment, j'étais consacré et gracié dans l'industrie. Trente ans plus tard, Philippe Dandurand a été reçu en même temps que ma personne à titre de Chevalier du Mérite Agricole de la France à la table d’honneur des invités.

Philippe a débuté avec les Vins Leroy (bourgogne et Beaujolais), qui s’approvisionnait chez Dubœuf pour le Beaujolais. Georges Dubœuf l’a ensuite introduit chez l’un de ses amis de Bordeaux en poste chez Mouton Rothschild (Mouton Cadet). Ensuite, la famille Rothschild l’a recommandé chez Robert Mondavi pour qu'il s'installe en Ontario et soulever l’intérêt chez leur ami Eduardo Chadwick, pour Errazuriz au Québec et en Ontario. Sur les instances de Rothschild, il a aussi introduit Sieur D’Arques Première Bulle... Comme quoi le relationnel sur le terrain lui a porté fruit, et surtout le fait qu'il se soit entouré de professionnel(le)s de grand talent, passionné(e)s autant au Québec qu'au Canada.

De ce que je me souviens de sa personne, il était du genre à prendre l'avion sans préavis pour aller régler un litige avec ses fournisseurs, où qu'ils se trouvent sur la planète vin, afin de régler le tout en personne.

Pour vous donner une idée des maisons représentées par son agence nationale qu’il a hissée au premier rang au Canada dans l’importation de vins embouteillés dans leurs pays d’origine (4 millions de caisses) :

vins dandurand

Sa ténacité à faire évoluer les mentalités depuis 40 ans a permis de faire bouger autant la SAQ que les détenteurs de permis, et surtout les habitudes des consommateurs.

Philippe Dandurand, dans sa semi-retraite, s'est impliqué dans quelques fondations, histoire de leur brasser la cage... Je les plains!!!

Lors de mon entrevue avec lui, je lui ai demandé quel message il désirait laisser à l'industrie, et le voici, pour notre grand bonheur :

« Le marché canadien est en changement majeur et rapide. Les changements sont probablement les plus rapides et les plus grands changements depuis mon entrée dans l’industrie, il y plus de 50 ans. Entre les dynamiques de marché, le goût des consommateurs, le marché électronique, les nouveaux compétiteurs potentiels et j’en passe, nous devons revoir nos organisations, nos structures, notre mission même, afin de faire face aux changements d’aujourd’hui, mais aussi à ceux qui nous guettent. »

LIENS

Vins Philippe Dandurand

L’histoire du pot beaujolais

Les différentes chroniques sur les Vins Philippe Dandurand


Samy Rabbat 

Version anglaise aussi disponible :  

Philippe Dandurand, at the forefront of wine import in Canada

À propos de l' auteur

Je suis un «réseauteur dans l’âme» et je suis en charge du développement des affaires dans les réseaux de l'agroalimentaire, des alcools et de l'hospitalité (HRI-HORECA). Mes objectifs sont de vivre en très bonne santé financière, en équilibre et en harmonie. Lire la suite...