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À minuit le carrosse devient citrouille

À minuit le carrosse devient citrouille

Mon voyage s’arrête ici. J’aurai passé dix années un peu folles, mais fascinantes, dans le monde du vin. C’était un projet que je voulais intéressant, et sans contrainte, absolument sans désir de gain, et qui venait à point, au moment où je prenais ma retraite. Mon but, c’était justement de ne pas briser brutalement avec la vie active, tout en gardant mon indépendance.

Je ne venais pas au vin en sommelier, en commercial, ni en œnologue. Je venais en poète, en gourmet, en amoureux de la vie et de ses bonnes choses, et je venais d’une bonne école. Mon père était diplomate et il avait l’art de cultiver les bonnes relations. Les bons vins français étaient l’un de ses atouts. Lorsque j’ai eu 14 ans, il m’a envoyé à Paris pour que je poursuive mes études secondaires et que j’acquière une solide culture française. Mon cousin, Paul Petit, avait accepté de représenter mon père pour toutes les démarches me concernant, surtout vis-à-vis du Lycée Jean Baptiste Say. Paul était un industriel et un gourmet averti. Il recevait beaucoup, et sa cave à vin était notable. Il a décidé de me faire le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un jeune homme, il m’a appris le vin. Nous avons passé des heures dans sa belle et grande cave, où ses bouteilles étaient soigneusement classées. Dans un coin, il avait même un tas de sable avec des bouteilles enfouies, où, selon lui, certains vins allaient vieillir en beauté et se sublimer.

Avec Paul, j’ai découvert les belles régions vinicoles de France. Nous avons une année visité la Loire, les grands châteaux, car j’étais fasciné par l’histoire et les vignobles. Il en profitait pour commander et remplacer les vins qu’il avait consommés dans l’année. L’année suivante, nous avons visité la région de Bordeaux. Quelle belle région! Après les domaines où il commandait toujours, comme nous voyagions en famille avec ma cousine Simone, sa femme, et le petit Pascal, qui avait six ans, nous avons parcouru la côte d’Argent jusqu’à Hendaye, à la frontière espagnole. La plage était pour moi, jeune, aussi fascinante que le vin.

C’étaient les années soixante. Paul m’avait signalé le sud, Languedoc, Roussillon… comme une région qui n’était pas intéressante pour le moment, car, disait-il, le gouvernement français voulait qu’ils coupent leurs vins avec les vins en provenance de l’Algérie pour en faire des piquettes pour la classe ouvrière. Un jour cela changera, parce qu’ils ont de belles terres. À la fin de la Guerre d’Algérie, le général de Gaulle avait engagé la France à continuer à importer les vins d’Algérie pendant dix ans, et à les faire couper avec des vins du sud. Ce n’est que dans les années 80 que les vignerons du sud, enfin libres de la contrainte des vins de l’Afrique du Nord, ont commencé à produire des vins charmants et de qualité.

J’ai eu droit à deux autres voyages de découverte vinicole : l’Alsace, de Riquewihr à Colmar, et la Bourgogne, de Chablis au sud du Mâconnais. Mon cousin m’a fait visiter les régions, les villages. Il m’a expliqué les premiers crus, les grands crus, les climats, et m’a montré les clos.

Au tout début, mes oncles se sont inquiétés et lui ont fait remarquer que je n’avais que 14 ans et que j’étais trop jeune pour découvrir le vin. Il leur a répondu qu’il ne me poussait pas à boire, qu’il m’apprenait le vin. Il avait raison, il m’avait toujours dit : « Lorsque tu as soif, bois de l’eau. Le vin, c’est pour sublimer la nourriture et pour créer un élan de convivialité avec des amis. »

Au Lycée, les grands, nous avions droit à un verre de vin avec nos repas. Comme c’était de la piquette et j’étais trop bien entraîné à faire la distinction, je prenais de l’eau. Il fallait voir la tête de mes camarades!

Roger Huet

Dans mes chroniques je me suis toujours efforcé d’apporter une note de bonheur, de convivialité. J’ai été très respectueux envers les vignerons qui travaillent avec passion et persévérance, affrontant l’incertitude du climat et des maladies. Le travail d’une année peut être ruiné en quelques heures. Au chai, le travail exige également une surveillance de tous les instants. Les millésimes se suivent et ne se ressemblent pas, et les revenus sont aussi capricieux que les millésimes.

J’ai souvent entendu dire que le prix ne traduit pas la qualité des vins et qu’il y avait des vins au-dessous de 15 dollars qui étaient excellents. Rien de plus faux. Aucun vin d’entrée de gamme ne tiendra la comparaison avec un vin de 50 ou de 100 dollars. J’avais mis un plancher à 19 dollars pour commencer à commenter des vins, dans le but d’éduquer les amateurs. Il est certain qu’un buveur de vins à moins de 15 dollars, lorsqu’il va essayer des vins de plus de 25 dollars, ne voudra plus revenir à ses anciennes amours. Il vaut mieux boire peu, mais bien.

J’ai été loyal envers les agents, m’efforçant de bien expliquer leurs vins. Lorsqu’un vin me déplaisait, je préférais téléphoner à l’agent et lui dire que je ne commenterais pas tel vin, plutôt que d’écrire des méchancetés. Les agents en général ont été amicaux avec moi, sauf trois, que j’ai barrés à vie.

Je me suis aussi efforcé d’être un bon camarade avec mes confrères chroniqueurs. J’ai refusé d’accepter tout contrat d’animation ou d’écriture payant. Je suis conscient que le métier de chroniqueur au Québec est devenu difficile, avec des médias qui peinent à vendre leur publicité face aux géants du Web.

J’ai toujours commenté loyalement et positivement les livres de mes confrères, m’efforçant de les lire et d’en faire ressortir le meilleur de leurs ouvrages. Dans une vie passée j’ai été éditeur de livres, et je sais tout le travail et le temps qu’un ouvrage demande.

Le Québec a une sacrée brochette de bons chroniqueurs et de bonnes chroniqueuses!

J’ai aussi été loyal envers mes éditeurs, Samy Rabbat avec son magazine Web, et son bras droit Annie Tremblay, et avec La Métropole et ses deux directeurs, à tour de rôle, Stéphane Maestro et Alain Clavet. Ils ont aussi été magnifiques envers moi.

Finalement, j’ai eu le privilège de présider le Club des Joyeux, qui réunissait une belle brochette de vrais amateurs de vins. J’ai été heureux de leur ouvrir la porte à des événements vinicoles intéressants. Le Club des Joyeux continuera, car je vais continuer à visiter des salons de vin en amateur.

Je souhaite à tous mes amis une vie prospère et heureuse!

Roger Huet
Chroniqueur vins et spiritueux
Président du Club des Joyeux
SamyRabbat.com
LaMetropole.com

À propos de l' auteur

Roger Huet - Chroniqueur vins et Président du Club des Joyeux
Québécois d’origine sud-américaine, Roger Huet apporte au monde du vin sa grande curiosité et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Il considère la vie comme un voyage, de la naissance à la mort. Un voyage où chaque jour heureux est un gain, chaque jour malheureux un gâchis. Lire la suite...