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Du rififi sur le futur classement de Saint-Émilion

Du rififi sur le futur classement de Saint-Émilion

Grands crus classés A historiques, les châteaux Ausone (7 hectares, famille Vauthier) et Cheval Blanc (37 ha, groupe LVMH) font défection pour la candidature au nouveau classement de Saint-Émilion 2022.

Tous les dix ans, le classement de Saint-Émilion est revu et il est peu de dire qu’à chaque fois, les polémiques ne manquent pas et des procédures judiciaires sans fin sont engagées par les propriétés qui s’estiment léser. Terre de Vins ce 9 juillet dans un article paru sur son site Internet a annoncé que ni le Château Cheval Blanc, ni le Château Ausone ne participeraient à la candidature du nouveau classement.  L’impact commercial de ce retrait s’annonce nul pour les deux premiers grands crus historiquement classé A, affichant un niveau de réputation et de qualité n’ayant pas besoin de ce sigle, un peu comme Petrus n’a pas besoin de la mention château pour asseoir son hégémonie sur les autres crus bordelais, rappelle de son côté Vitisphère dans un article paru ce lundi 12 juillet. En revanche, cela pourrait remettre en cause la légitimité de cette nouvelle procédure.

Gérée par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) pour le Conseil des Vins de Saint-Émilion (Organisme de Défense et de Gestion), la procédure de classement décennal est mise à mal par de nombreuses attaques judiciaires. Avocat de trois propriétés non-classées en 2012, maître Éric Morain estime que « cette double décision est courageuse et doit en appeler d'autres. Elle est l'aboutissement logique d'un système à bout de souffle qui, à force de se croire immuable, tout puissant et incontournable, est devenu vide de sens et le siège de tous les conflits d'intérêt comme le démontrera le procès de septembre. Au-delà de cet "enterrement de première classe", j'espère sincèrement que c'est un nouveau monde qui en surgira. Il serait temps », a-t-il indiqué à Vitisphère.

Pour Pierre Lurton et Pierre-Olivier Clouet, directeur et directeur technique de Cheval Blanc, “il s’agit d’une décision lourde pour la maison, mais tout simplement nous ne nous retrouvons pas dans les critères de ce classement. Nous avons envisagé l’éventualité de déposer un dossier. Mais la grille d’évaluation s’éloigne trop de ce qui nous semble fondamental : le terroir, le vin, l’Histoire. D’autres éléments secondaires ont pris trop d’importance dans la note finale”. Conscients que leur retrait va forcément porter un coup important au prestige du classement, les dirigeants de Cheval Blanc précisent ne pas vouloir porter atteinte au travail “de tous les vignerons qui travaillent dur, veulent progresser et ont tout fait pour obtenir le rang de grand cru classé”. Ils souhaitent d’abord “remettre l’église au centre du village sur ce que doivent être les critères d’évaluation d’un grand vin” ont-ils indiqué à Terre de Vins.

Pauline Vauthier, qui dirige le Château Ausone ne dit rien d’autres. “Nous avions des réserves depuis longtemps sur ce classement, ceux qui connaissent mon père (Alain Vauthier), ne seront pas surpris par cette décision, que nous avons longuement mûrie, en famille”. Comme pour Cheval Blanc, le dossier de candidature a même été réalisé, “mais au fur et à mesure que nous avancions, cela perdait tout son sens pour nous. La partie terroir et dégustation occupait une part trop minime par rapport au réceptif ou aux réseaux sociaux ; or pour un vin comme Ausone, elle est fondamentale. Ce classement prévoit que l’on ne doit juger les vins que sur les quinze dernières années, mais c’est sur une durée beaucoup plus longue que l’on se doit de juger les grands vins”.

Mais surtout Cheval Blanc et Ausone se défendent de vouloir protéger le côté exceptionnelle du classement « Premier Grand Cru Classé A » dont ils bénéficiaient seuls jusqu’en 2012. Les Châteaux Angélus et Pavie les avaient rejoints par la suite et l’éventualité d’un ou deux nouveaux n’étaient pas à exclure mais ils le démentent formellement. Afin d’être totalement cohérant, la famille Vauthier a également décidé de retirer le château La Clotte dont elle est propriétaire de la course. Idem pour l’équipe Cheval Blanc qui n’a pas déposé de candidature pour le château Quinault L’Enclos, également propriété de Bernard Arnault.

Avant que la commission dédiée de l’INAO ne commence ses travaux sur le dossier brûlant du prochain classement, le tribunal judiciaire de Bordeaux doit se pencher sur les accusations de prise illégale d’intérêt dans le cadre du précédent classement le 20 et 21 septembre prochain. Ces perspectives vont-elles donner des ailes aux châteaux souhaitant s’émanciper de cette nomenclature ?

Pour mémoire, ce serpent de mer judiciaire dure depuis huit ans. Les figures du vignoble bordelais Hubert de Boüard de Laforest (copropriétaire du château Angélus, passé en 2012 au rang de premier cru classé A, et consultant d’exploitations candidates) et Philippe Castéja (le château Trottevieille, maintenu premier cru classé B) sont poursuivis par trois propriétés non-classés en 2012 (châteaux Corbin Michotte, Croque Michotte et La Tour du Pin Figeac) pour leurs fonctions passées au comité national de l’INAO. Des accusations pouvant se traduire par une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement assortie d'une amende de 500 000 €. Il est peu de dire compte tenu des enjeux que les attendus des juges seront scrutés à la loupe par les acteurs de la filière Bordelaise car cela pourrait avoir un impact déterminant sur la nouvelle nomenclature.  

Source : McViti

À propos de l' auteur

Âgé de 45 ans, ingénieur agricole, diplômé de l’IHEDREA (Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Economie Agricole en 1995), j’ai poursuivi mes études par un master de Gestion, Droit et Marketing du secteur Vitivinicole et des Eaux de Vie dépendant l’Université de Paris 10 Nanterre et de l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin - 1997). Lire la suite...