vendredi 29 mars 2024
Le marché Jean-Talon risque de perdre plusieurs de ses marchands

Le marché Jean-Talon risque de perdre plusieurs de ses marchands

Des marchands de longue date préviennent la Ville qu'ils quitteront le marché Jean-Talon si d'autres stationnements disparaissent. Ils dénoncent des décisions de la Ville de Montréal qui limitent de plus en plus l'accès aux clients automobilistes au profit des piétons.

«Il y a 50 personnes ici qui vont perdre leur emploi, plus tous les producteurs qui travaillent pour nous», prévient Lino Birri, maraîcher et pépiniériste bien connu au marché Jean-Talon.

Il envisage de fermer son commerce l'année prochaine, car il est de moins en moins rentable. «Depuis plusieurs années, la Ville met des bâtons dans les roues des automobilistes, donc les clients se découragent.»

Le mois dernier, il a fait parvenir une lettre à la mairesse de Montréal Valérie Plante et au maire de l'arrondissement de Rosemont-La-Petite-Patrie, François Croteau.

«Il ne faut pas changer la vocation du marché. Ne confondons pas place publique et marché public.» - Extrait de la lettre envoyée par Lino Birri

Les changements qui irritent certains commerçants

  • le mois prochain s'amorcera le chantier d’une nouvelle place publique, la place Casgrain, sur un stationnement extérieur situé entre la SAQ et la boulangerie Première moisson. Le quart des stationnements vont disparaître, soit une dizaine;
  • les commerçants ont aussi appris en avril que la piétonnisation de l’avenue Shamrock entre Saint-Laurent et Casgrain deviendra permanente. Là aussi, des places de stationnement ont déjà disparu;
  • la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal ne ferme pas la porte à ce qu'un nouveau bâtiment soit construit sur ce qu'il reste du stationnement extérieur. Aucun projet n'est toutefois sur la table;
  • depuis l’an dernier, le marché est piétonnisé quatre jours par semaine et la période a été étirée de juin à octobre.

«On n'est déjà pas gâtés en stationnement et on veut l'amputer», dénonce Mario Boulanger, propriétaire du commerce Première Moisson.

De l'autre côté de la rue, un autre boulanger se plaint lui aussi. «Il y a des clients qui viennent moins souvent, parce que la fin de semaine, ils n'arrivent pas à se stationner, raconte Daniel Jobin, propriétaire de Joe La Croûte. Les voitures sont à la queue leu leu, ça se klaxonne, ça se gueule après.»

Le vendeur de fruits et légumes Eric L'Écuyer renchérit. «C'est sûr que c'est le fun pour les piétons, mais à un moment donné, il y a trop de place pour les piétons. Il faut penser aux autos aussi.»

En mars 2017, une étude de marché réalisée par la Société de développement commercial de la Petite-Italie concluait que le manque de place de stationnements était «le principal élément d’insatisfaction chez les résidents et les non-résidents» ainsi qu’un «frein majeur» pour la clientèle provenant de l’extérieur du quartier.Éric L'Écuyer craint que ses ventes baissent. Il rappelle aussi qu'il est de plus en plus difficile, pour lui comme pour ses confrères, de stationner leur camion de livraison.

Luigi Bono, du kiosque Chez Michel, a le sentiment d'être incompris par la Ville et par la Corporation de gestion des marchés publics. «L'expérience est extraordinaire pour un touriste, mais en tant que commerçant, les revenus sont plus difficiles.»

Luigi Bono craint que son commerce ne finisse par fermer. «On a peur, c'est de l'anxiété.»

«Ça a toujours été difficile de se stationner au marché Jean-Talon», rappelle la directrice des opérations de la Corporation, Josée Tétrault. Elle affirme toutefois que les 340 places du stationnement souterrain ne sont jamais prises à 100 % et que celui sous la SAQ est méconnu.

Josée Tétrault explique avoir freiné les ardeurs de l'arrondissement de Rosemont-La-Petite-Patrie, qui lui aurait demandé l'an dernier que le marché soit piéton sept jours sur sept. «On a réussi à s'entendre pour quatre jours», dit-elle.

«On est très fiers de la piétonnisation, dit François Limoges, le conseiller municipal du district, élu du parti Projet Montréal. Le marché où les gens arrivent en pick-up pour aller chercher des tomates dans des caisses, ce n'est plus ça.»

Il encourage les commerçants réfractaires à entrer dans «le 21e siècle».

Le leader de la majorité du parti Projet Montréal assure qu'il y a toujours de la place pour les professionnels, le matin et en début de semaine, mais qu'«il y a maintenant des enjeux de sécurité qui nous tiennent à coeur».

Le groupe les Ami(e)s du marché Jean-Talon soutient les changements apportés par la Ville. «Les habitudes de consommation ont changé. C'est devenu une expérience pas seulement commerciale», croit le porte-parole du groupe, Jérémie Levesque.

Jérémie Levesque reconnaît que les clients ont plus tendance à acheter en petites quantités que dans le passé. «C'est moins un marché de volume», constate-t-il. Mais compte tenu de l'important achalandage la fin de semaine, il «peine à croire que ces commerces ne sont pas rentables».

Le conseiller municipal François Limoges ne croit pas non plus les commerçants qui affirment perdre des clients. «Ce n'est pas ce que démontrent les chiffres de fréquentation. L'affluence est toujours plus nombreuse, la clientèle a doublé, voire triplé dans les 10 dernières années.»

François Limoges se rend lui-même en voiture au marché. «J'ai toujours été capable de me stationner», affirme-t-il.

Il n'existe pas de données précises sur la proportion de clients du marché Jean-Talon qui viennent en voiture. Selon un sondage réalisé par les Amis du marché, ils seraient 20 %. La SDC calcule quant à elle que près du tiers des résidents de La Petite-Italie se déplacent en auto.

Source: Lou White, via Radio-Canada du 11 juin 2018