jeudi 28 mars 2024
Clôture imminente de la fusion de Monsanto & Bayer

Clôture imminente de la fusion de Monsanto & Bayer

«Une fois réunis, ils influenceront les marchés du monde entier à une échelle jamais vue auparavant.»

MISE À JOUR Le département américain de la Justice a approuvé mardi le rachat de Monsanto par Bayer. Les États-Unis ont toutefois imposé d'importantes concessions, dans le but de maintenir la concurrence dans la vente de produits agricoles.

Le département de la Justice des États-Unis devrait bientôt approuver la fusion de deux très grandes sociétés – le semencier Monsanto basé à Saint-Louis et le conglomérat allemand fabricant de semences et de produits chimiques Bayer – et les conséquences pourraient être considérables.

La transaction de 66 milliards de dollars américains, déjà approuvée par l'Union européenne, entraînera la création du plus grand monopole mondial de pesticides et de semences. L'alliance concentrera 61 pour cent de la production mondiale de semences et de pesticides entre les mains de seulement trois mégacorporations – les deux autres étant DowDuPont, issue d'une fusion récente et ChemChina, qui a racheté le fabricant de pesticides et de semences Syngenta l'an dernier.

Est-ce problématique?

Cela dépend à qui vous posez la question. Monsanto et Bayer présentent leur consolidation comme un moyen de développer la technologie et l'innovation nécessaires pour nourrir une planète qui accueillera probablement 10 milliards d'êtres humains dans deux décennies. Pour les critiques – des écologistes et de nombreux agriculteurs – c'est une étape décisive terrifiante vers un quasi-monopole dans l'agriculture, qui donnerait à des sociétés gigantesques un accès sans précédent aux données des agriculteurs, évincerait les petits agriculteurs et entraînerait potentiellement une augmentation du prix des denrées alimentaires pour les consommateurs.

Monsanto est déjà le bouc émissaire des écologistes en raison de ses semences génétiquement modifiées – qui selon les critiques favoriseraient les monocultures, en piégeant les agriculteurs dans un cycle de dépendance avec un recours accru aux produits chimiques – et de sa longue tradition de production de produits chimiques controversés tels que l'agent orange et l'herbicide glyphosate.

De nombreux défenseurs de l'environnement craignent que la fusion ne perpétue une tendance à la concentration d'un pouvoir énorme sur l'approvisionnement alimentaire mondial entre les mains d'une poignée de grandes sociétés.

« Nous assisterons de notre vivant à la disparition totale de la biodiversité dans nos fermes, à la disparition des petits agriculteurs et à la fin de la vraie nourriture et de notre liberté alimentaire », avait averti Vandana Shiva, militante de longue date contre les OGM.

Evgeniy Kozarenko, PDG de la société de traitement de semences biologiques Nagritech – basée à Berlin – est inquiet. Les États-Unis et l'Union européenne «viennent d'approuver la création d'un monstre», a-t-il déclaré au HuffPost. «Une fois réunies, ces deux sociétés influenceront l'opinion des agriculteurs et les marchés du monde entier à une échelle jamais vue auparavant. Nous ne disposons pas d'un budget suffisant pour faire la publicité de nos fertilisants, pesticides et herbicides biologiques. Les autres fabricants de produits biologiques seront eux aussi incapables d'affronter la concurrence.»

Le spectre du numérique

Ces peurs sont amplifiées par la crainte grandissante que l'agriculture ne se trouve à l'aube d'une révolution numérique qui permettrait à l'agro-industrie d'exercer un contrôle sans précédent sur les agriculteurs. Les Amis de la Terre Europe et plusieurs organisations non gouvernementales ont accusé l'U.E. d'autoriser la création d'un «Facebook de l'agriculture». Les sociétés seraient en mesure d'accéder aux données des agriculteurs pour leur vendre des semences et des pesticides.

«On imagine facilement l'affichage d'une publicité sur le téléphone intelligent d'un agriculteur quelques secondes après avoir été confronté à des dégâts causés par des mauvaises herbes ou des insectes pendant la récolte», a déclaré le Missouri Farm Bureau Federation.

La société Monsanto a elle-même laissé entendre que les données étaient une raison importante de son désir de fusion avec Bayer. «Il n'y a pas de nouvelle Terre», a déclaré Hugh Grant, le PDG de Monsanto, à Fortune. «La société dans laquelle nous vivons doit envisager l'agriculture de façon plus intelligente.»

Le semencier a déjà investi massivement dans l'économie numérique, en dépensant près d'un milliard de dollars en 2013 pour acheter la Climate Corp., une société d'analyse de données qui met à disposition des agriculteurs des informations et des prévisions météorologiques. La technologie aurait été utilisée sur plus d'un tiers des terres agricoles aux États-Unis en 2014.

La plate-forme de données «du champ à l'assiette» de Monsanto, Climate Fieldview, que la société présente comme un «moteur de croissance clé en 2018», utilise des tracteurs équipés de capteurs et d'un GPS, des algorithmes et des drones de collecte de données pour surveiller les conditions des champs et apporter des conseils aux agriculteurs en temps réel.

«La fusion entraînera la création de la plus grande plate-forme de son genre qui bénéficiera comme Facebook de la "prime au premier entrant", à cause des conséquences qu'elle aura pour les concurrents», a déclaré Mute Schimpf, une porte-parole des Amis de la Terre Europe. «La nouvelle plate-forme permet à Bayer-Monsanto de contrôler comment, où, quand et par qui la nourriture est produite. De la même manière que les algorithmes de Facebook décident de nos flux d'actualités, "Baysanto" choisira quels pesticides doivent être utilisés et quelles semences doivent être plantées.»

Une transaction décriée

La fédération des Amis de la Terre était l'une des plus de 70 organisations écologistes qui ont signé une lettre adressée à la Commission européenne avertissant que «Bayer-Monsanto deviendrait le plus grand acteur dans le domaine des plates-formes de données et de la collecte de données, faisant courir aux agriculteurs les mêmes risques rencontrés avec les plates-formes de données existantes telles que Google, Amazon et Facebook».

Monsanto, en revanche, affirme que les agriculteurs seront les véritables bénéficiaires de la transaction. «Aujourd'hui plus que jamais, les agriculteurs ont besoin d'accéder aux outils qui leur permettront de prendre des décisions éclairées afin de maximiser leur rendement sur chaque hectare», a déclaré Brian Carroll, un porte-parole de la société. Il a ajouté que les données de ce type aidaient les agriculteurs à cultiver de façon plus durable et à gérer leurs risques.

D'autres responsables de Monsanto, s'exprimant sous couvert d'anonymat en raison des restrictions de communication imposées par la société à ce sujet, ont déclaré au HuffPost que les agriculteurs étaient «des cyniques» qui rejetteraient toute plate-forme qui semblerait trop intéressée à leur yeux.

Mais tout le monde n'est pas convaincu. L'an dernier, plus d'un million de personnes ont signé une pétition adressée à la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, lui demandant de bloquer la transaction, extrêmement impopulaire selon les sondages.

Aux États-Unis, des groupes représentant les agriculteurs et des organisations de protection de l'environnement ont écrit au département de la Justice pour avertir des conséquences négatives sur la concurrence, les agriculteurs et les consommateurs. Ils affirment que l'association des semenciers et des entreprises numériques permettrait à de très grandes sociétés de «créer des plates-formes privées fermées à la concurrence».

Les responsables de Monsanto sont évasifs sur la nécessité d'adopter de nouvelles lois. «Il ne faudrait pas que la réglementation soit source de paranoïa», a déclaré l'un des responsables de la société. «Si à l'issue du débat nous nous trouvions dans une situation où les agriculteurs craignaient de partager leurs données, cela compromettrait une formidable occasion d'adopter à terme des pratiques agricoles plus durables.»

Il reste cependant des opportunités pour la discrimination par les prix et l'utilisation de plates-formes de données pour vendre des semences, des pesticides et des fertilisants – qui sont tous, pour l'instant, non réglementés.

La Missouri Farm Bureau Federation affirme être en cours de négociation avec des représentants de l'agro-industrie sur la question de la propriété des données collectées par des applis numériques telles que Climate Fieldview.

«Nous avons deux préoccupations majeures: quelles seront les conséquences sur le prix des produits et quel sera l'impact sur la disponibilité des produits», a déclaré Spencer Tuma, la directrice des affaires législatives de la fédération. Elle a ajouté que le groupe s'inquiétait des répercussions potentielles pour les agriculteurs, les éleveurs et à terme, les consommateurs sous la forme d'une hausse du prix des denrées alimentaires.

«Nous pensons que le Congrès devrait examiner certaines des dispositions applicables lorsqu'il s'agit de déterminer si une fusion de ce type doit être acceptée», a déclaré Tuma.

Le Congrès a le pouvoir de réviser ou de réécrire la législation sur les fusions. En juillet, 19 sénateurs ont exprimé à plusieurs reprises leur préoccupation concernant la fusion auprès de la division antitrust du département de la Justice. On ne peut donc exclure une action du Congrès.

Carroll était toutefois optimiste. «Le rachat de Bayer par Monsanto a subi un processus d'examen réglementaire long et robuste auprès des autorités de la concurrence compétentes», a-t-il déclaré.

Les écologistes américains demandent à Monsanto de vendre Climate Fieldview comme préalable à la transaction. Le sort des données agricoles mondiales – la question de leur propriété et de leur utilisation – reste incertain.

Source: Lou White, via le HuffPost Québec du 28 mai 2018