vendredi 29 mars 2024
«Le vin est aussi un plaisir mental» - Jean-Noël Kapferer 

«Le vin est aussi un plaisir mental» - Jean-Noël Kapferer 

Le professeur en marketing rassemble, la semaine prochaine à Monaco lors d’un symposium, chercheurs et dirigeants des marques du luxe.

Qu’est-ce qui distingue un grand cru d’une pièce de maroquinerie logotypée, réalisée à la main à partir de cuir rare et produite en petite série ? Réponses.

LE FIGARO - Le vin est-il produit de luxe comme les autres ?
Jean-Noël KAPFERER - Spontanément les gens n’associent pas le vin au luxe, mais à une vie de luxe. C’est très important de différencier les deux. Si vous débouchez une bouteille de Romanée-Conti lors d’un dîner, la soirée devient luxueuse. Mais le vin en tant que tel est plus associé à un savoir vivre, à un savoir être, qu’à un produit de luxe intrinsèque. De plus, la consommation du vin est très éphémère, ce qui est contraire à la dimension d’intemporalité attachée au luxe.

LF - Pourtant le vin peut nous survivre, surtout les grands crus…
JNK - Il y a trois choses qui caractérisent le luxe, qu’on retrouve dans le vin. D’abord la notion de qualité exceptionnelle - ce peut être une complexité des goûts liée aux terroirs. La deuxième chose est le temps - un des marqueurs du luxe. C’est pour cela que les vieux cognacs se vendent mieux. Enfin, la rareté, qui existe dans le vin. Prenons le Clos du Mesnil chez Krug : comme son nom l’indique, c’est une parcelle qui est totalement close, ce qui limite la production. Le vin intègre aussi la notion de partage, de générosité émotionnelle. Les gens n’ouvrent pas une bouteille pour la boire seul. Le vin amène aussi à distinguer ceux qui s’y connaissent des novices. C’est un marqueur du raffinement du possesseur.

LF - Le vin serait donc un témoin culturel ?
JNK - Oui et c’est très important. Le connaisseur est capable de distinguer, en dehors du prix, ce que sont les très grands crus. Il y a une dernière chose qui est fondamentale, c’est le plaisir. Il n’y a pas de luxe sans plaisir. Il n’est pas seulement gustatif. Il est d’abord mental. On goûte le vin avec les yeux et avec la bouteille, l’étiquette, le toucher, les blasons, le logo, le nom, l’histoire. Il y a beaucoup de sensations cérébrales, puis arrive le rituel du service qui contribue aussi au plaisir. Cela distingue le vulgaire du savant. Il y a celui qui va se contenter d’ouvrir la bouteille et de la servir et celui qui va savoir mettre en œuvre le rituel. C’est pour cela que les Chinois découvrent le vin avec intérêt : ils comprennent qu’il s’agit d’un produit culturel qui indique notre niveau social.

LF - La vente en ligne ne nuit-elle pas au caractère luxueux d’un cru ?
JNK - Le digital ouvre le luxe à tout le monde, mais il supprime le rituel. Vous vous dites : "Tiens, il y a une offre sur tel château actuellement sur tel site pendant 2 heures, et une journée plus tard il n’y en aura plus, alors j’en achète deux caisses". Comment allez-vous le boire ? Personne n’en sait rien. L’achat lui-même est ouvert à tout le monde. Si vous allez chez un caviste, il passe un quart d’heure à vous raconter l’histoire du vin. C’est l’intérêt des cavistes ou des sommeliers.

3e Monaco Symposium on Luxury, les 12 et 13 avril, au Méridien Beach Plaza à Monaco.

Source: Lou White, via Le Figaro du 7 avril 2018