samedi 20 avril 2024
Ces vins de cépages qui sont moins connus...

Ces vins de cépages qui sont moins connus...

Vous êtes nombreux à demander des suggestions de vins pour accompagner certaines recettes. Ou à demander qu'on vous explique les règles des accords mets-vins.

Si vous avez suivi des cours sur le vin ou creusé le sujet par vous-même, vous avez fort probablement entendu l'expression «cépages nobles», ou encore «cépages améliorateurs».

En Alsace par exemple, à quelques rares exceptions près, seuls quatre cépages, désignés comme «nobles», ont droit à l'appellation Grand Cru. Ailleurs, on a encouragé l'arrachage de cépages considérés moins qualitatifs pour les remplacer par des cépages censément améliorateurs.

Après la crise du phylloxéra, qui a presque anéanti les vignobles européens à la fin du XIXe siècle, la pénurie de vin a conduit à de nombreuses fraudes. On plantait n'importe quoi n'importe où. On achetait du vin de pays étrangers et on les embouteillait sous des noms de régions françaises. Le besoin rapide et criant de vin a mené à cultiver des cépages très productifs dans des terres très fertiles. On a fait «pisser la vigne» avec des rendements excessifs. Et, en général, la qualité d'un vin est inversement proportionnelle au rendement de la vigne.

C'est entre autres dans le but de contrer la fraude et cette production massive de vins de piètre qualité que les appellations d'origine contrôlée ont vu le jour. Dans les cahiers des charges de chaque appellation, les cépages permis sont classés en trois catégories: les cépages principaux, qui sont recommandés, les cépages complémentaires, ou secondaires, et les cépages accessoires, dont plusieurs ont été progressivement interdits.

On a replanté massivement les cépages recommandés au détriment des cépages complémentaires et arraché les cépages accessoires, menant inévitablement à une uniformisation du vignoble. Aujourd'hui, sur un peu plus de 200 cépages autorisés en France, seulement 10 représentent plus de 70 % du vignoble.

On a voulu moderniser le vignoble, le rendre plus productif, ce qui est tout à fait compréhensible. Malheureusement, des impératifs économiques et des phénomènes de mode ont trop souvent pris le dessus sur la recherche de la qualité. Bien sûr, des cépages bien établis et bien connus du grand public sont plus populaires. Un chardonnay ou un merlot seront toujours plus faciles à vendre qu'un romorantin ou un tibouren.

Mais la biodiversité du vignoble en a pris un sérieux coup. Et pas seulement par la diminution du nombre total de cépages cultivés, mais aussi par leur mode de reproduction. Au fil des ans, on a choisi les plants les plus productifs, les plus résistants aux maladies, les plus faciles à cultiver et on les a reproduits massivement par clonage. Ce qui a fini par affaiblir le matériel végétal : de nombreuses nouvelles maladies sont apparues et les vignes dépérissent aujourd'hui plus rapidement.

Le manque de biodiversité non seulement pose un problème quant à la résistance des vignes, mais mène à une homogénéisation des saveurs et prive le consommateur d'une diversité de goûts.

Le phénomène n'est pas unique à la France. En revanche, les régions plus isolées ont été plus épargnées par les modes ou n'avaient tout simplement pas les moyens de replanter. Elles ont donc conservé un plus riche patrimoine viticole. Dans les régions où la vigne a été implantée plus récemment, comme dans beaucoup de pays du Nouveau Monde, les vignobles sont encore plus homogènes: ce sont des mers de chardonnay, de syrah, de cabernet sauvignon.

On commence à voir un peu le retour du balancier. Plusieurs vieux cépages ont été récupérés et propagés de nouveau. Mais ce n'est pas encore la norme, et plusieurs instances continuent d'encourager la culture de cépages choisis non pas pour leur capacité à révéler un terroir, mais plutôt pour leur popularité.

Quand j'ai étudié les vins d'Alsace, on m'a appris que le pinot blanc et le sylvaner étaient de «petits» cépages, incapables de produire de grands vins, à l'image des cépages nobles. Pourtant, il fut une époque où le pinot blanc donnait des vins très appréciés en Bourgogne, où il était tout autant cultivé que le chardonnay.

Quelques ardents défenseurs du sylvaner ont fait pression pour qu'il soit autorisé en Grand Cru en Alsace, dans un terroir où il était traditionnellement cultivé, mais où il a été «tassé» en faveur de cépages plus en vogue. Personne ne le connaissait, et il n'était pas très vendeur, et pourtant, cultivé au bon endroit, le sylvaner peut donner de grands vins.

Il faut encourager cette diversité en s'intéressant aux vins de cépages moins connus. Les bons exemples abondent! Le carignan, qui a longtemps été considéré médiocre, est à l'origine de certains des vins les plus fascinants du Priorat, en Espagne, et de nombreux très bons vins du Languedoc. Et je pourrais vous nommer des dizaines de cépages comme lui. Si on ne devait boire que du chardonnay et du cabernet sauvignon pour le reste de nos jours, qu'est-ce qu'on s'ennuierait! Je ne cesse de le répéter, une grande partie du charme du vin réside dans sa diversité. Il existe des centaines, voire des milliers de cépages oubliés. Bien sûr, ils ne présentent pas tous le même intérêt. Mais ils contribuent à la diversité des goûts, à la complexité du vin et à la richesse de la viticulture.

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Source: Lou White, via La Presse du 16 mai 2017