vendredi 29 mars 2024

Entrevue avec Hadrien Mouflard

J’ai rencontré  Hadrien Mouflard, Directeur Général de la prestigieuse maison de Champagne Ayala qui  m’a accordé cette entrevue:

roger hadrien mouflard

RH – Hadrien Mouflard, nous aimerions mieux vous connaître, parlez-nous de vous.

HADRIEN MOUFLARD – Je suis né il y a 36 ans à Versailles. La passion du vin m’est venue vers la majorité: j’aimais aller dans la cave de mon père et imaginer les grandes occasions où nous pourrions déguster ses grands Bordeaux, ce qui n’arrivait pas si souvent! J’ai toujours voulu faire de ma passion mon métier. J’ai eu l’opportunité de rejoindre Champagne BOLLINGER en 2008 comme Secrétaire Général avant de prendre la direction de Champagne AYALA fin 2012. C’est une grande satisfaction pour moi et mon équipe de travailler au renouveau de cette maison historique au patrimoine impressionnant. Je suis venu pour la première fois au Québec en 2013 pour promouvoir AYALA et j’ai tout de suite été séduit par la grande gentillesse et la chaleur de l’accueil des Québécois. C’est toujours un grand plaisir pour moi de revenir ici!

RH – Il y a beaucoup de noms allemands et anglais dans la viticulture champenoise; les noms à consonance espagnole, par contre, sont rares. Comment la famille Ayala est venue s’établir à Aÿ?

HADRIEN MOUFLARD – Le fondateur de notre Maison, Edmond de AYALA, était français: il est né à Paris en 1831 et s’est installé en Champagne au milieu des années 1850 pour apprendre les métiers du vin. Mais ses ancêtres étaient effectivement d’origine espagnole, du pays basque plus précisément. Son père, son grand-père et son arrière-grand-père avaient même vécu dans les colonies sud-américaines de la couronne espagnole, dans la Colombie actuelle.

RH – La Maison Ayala, depuis ses débuts, a toujours été une maison d’innovation. Elle est la première à avoir produit des champagnes faiblement dosés, à la demande de ses riches clients anglais.

HADRIEN MOUFLARD –  Absolument. Il faut savoir qu’il y a 150 ans, le champagne n’avait rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui: il était beaucoup plus dosé et donc, plus sucré. Les Anglais avaient déjà un palais plus sec que d’autres marchés, mais consommaient le champagne avec un dosage d’environ 70 g/litre, 10 fois plus sucré que notre Brut Majeur d’aujourd’hui! AYALA a été l’une des toutes premières maisons à commercialiser un champagne plus sec, avec son millésime 1865, qui n’était dosé « que » à 21g: une véritable révolution pour l’époque!

RH – Ayala a connu les grands bouleversements sociaux de la Champagne au début du vingtième siècle, qui a eu comme conséquence une restructuration de ses vignobles et de son siège social.

HADRIEN MOUFLARD –  En effet, le début du XXe siècle a été assez tumultueux dans la région. Les révoltes de 1911 auraient très bien pu marquer la fin de notre Maison, car notre site a été détruit lors de cet épisode violent. Heureusement, les propriétaires à l’époque, qui étaient les 3 fils de notre fondateur, avaient une police d’assurance qui leur a permis de reconstruire la Maison et d’assurer sa croissance à venir.

RH – Les deux guerres mondiales n’ont pas épargné la Champagne, comment la Maison Ayala s’en est sortie?

HADRIEN MOUFLARD – La Champagne a été très durement touchée par les 2 guerres mondiales, tout particulièrement par le premier conflit mondial de 1914-1918. Mais c’est le propre des grandes Maisons que de savoir traverser les périodes plus tumultueuses de l’Histoire pour en sortir grandies. Les années folles qui ont suivi la Première Guerre mondiale ont même marqué un véritable âge d’or pour notre marque. Nous vendions alors plus d’un million de bouteilles!

RH –  À qui appartient Champagne Ayala aujourd’hui?

HADRIEN MOUFLARD – Champagne AYALA a été racheté par le groupe familial Bollinger en 2005. La famille possède également, en plus du Champagne Bollinger, le Domaine Chanson à Beaune, Langlois-Chateau à Saumur dans la Loire, Cognac Delamain, ainsi que les sociétés de distribution qui commercialisent nos produits sur les marchés français et britannique.

RH – Comme la plupart des Maisons de Champagne, vous produisez seulement une partie de votre raisin, et pour le reste, vous vous approvisionnez chez des vignerons locaux. Combien d’hectares possède la Maison Ayala en propre et où sont-ils situés?

HADRIEN MOUFLARD – Nous possédons environ 20 hectares de vignobles en propre: 1 hectare en chardonnay Grand Cru à Chouilly, sur la Côte des Blancs, et une bonne quinzaine d’hectares à Champvoisy et Passy-Grigny, dans la vallée de la Marne. Ce vignoble en propre est complété par des approvisionnements en raisins venant de toute la Champagne et représentant environ 90 hectares.

RH – Est-ce que Ayala a un engagement environnemental?

HADRIEN MOUFLARD – Oui, nous sommes particulièrement soucieux de l’impact que nos actions peuvent avoir sur l’environnement. Notre cahier des charges pour la conduite de notre vignoble est le même que celui de Champagne BOLLINGER, qui a été l’une des toutes premières en Champagne à obtenir la certification « Haute Valeur Environnementale ». Nous travaillons également étroitement avec nos vignerons partenaires pour les sensibiliser et les inciter à mener des démarches environnementales dans leur vignoble.

RH – En considérant la concurrence qui existe entre les producteurs de champagne pour avoir le meilleur raisin, comment parvenez-vous à contrôler la qualité du raisin qui vous est fourni par des vignerons indépendants?

HADRIEN MOUFLARD – Nous nous approvisionnons auprès d’une cinquantaine de petits vignerons qualitatifs, situés dans tous les meilleurs secteurs de la Champagne. Notre capacité à identifier ces petits vignerons qualitatifs et à nous assurer l’accès à leurs meilleurs raisins sur le long terme est très souvent liée aux simples rapports humains et personnalisés que nous entretenons avec eux, parfois depuis plusieurs générations. Derrière les raisins, il y a toujours des hommes et des femmes, que nous nous attachons à connaître personnellement. Par ailleurs, l’accès au bassin d’approvisionnement de BOLLINGER, depuis 2005, a également joué un rôle important dans le renouveau qualitatif de notre maison.

RH – Les trois grands cépages pour la fabrication du Champagne sont le Chardonnay, le Pinot Noir et le Meunier. Quel est le cépage qui marque le style de votre maison?

HADRIEN MOUFLARD – Le style de Champagne AYALA est défini par la fraîcheur et l’élégance. Nous recherchons bien sûr l’équilibre, mais il est vrai que Caroline Latrive, notre chef de cave, a une affinité particulière pour le chardonnay, dont nos assemblages ne contiennent jamais moins de 40%.

RH – Caroline Latrive est une styliste en matière de champagne.

HADRIEN MOUFLARD – Le rôle que joue Caroline dans la définition du style de nos vins est primordial. C’est une grande professionnelle qui a su respecter le style de notre Maison tout en le faisant gagner en précision et en qualité. C’est un défi renouvelé à chaque année que de devoir réaliser les assemblages de nos différentes cuvées et Caroline le relève avec brio à chaque fois.

RH – Elle a la difficile tâche de vinifier, de faire les assemblages et de prévoir ce que les vins tranquilles qu’elle produit vont devenir en champagne, lorsqu’ils passeront par la deuxième fermentation. Pour faire son travail, elle doit disposer d’un parc important de de cuves et de futs anciens et neufs?

HADRIEN MOUFLARD – L’un des premiers investissements massifs consentis par la famille Bollinger, lors du rachat, a consisté en la réfection complète de notre outil de vinification. Nous disposons aujourd’hui d’une cuverie neuve où nous n’utilisons que des cuves en acier inoxydable. Vous ne verrez pas un seul fût chez AYALA! C’est une question de style, d’abord et avant tout. Nous avons une centaine de cuves, dont une proportion importante sont de toute petite taille: 50, 25 voire 20 hectolitres, ce qui est très rare pour une Maison de notre taille. Ces petites cuves nous permettent de vinifier à petite échelle et de réaliser des assemblages très précis.

RH – Le plus grand souci de votre Chef de Cave et de son équipe d’œnologues est de préserver le style Ayala. Dans la gamme des majeurs blanc ou rosé, combien de vins de réserve et de combien de millésimes peuvent aider à créer le style Ayala dans la fraicheur et l’élégance?

HADRIEN MOUFLARD – La formule de base pour nos 3 vins non-millésimés – Brut Majeur, Rosé Majeur et Brut Nature – suit les mêmes règles : environ 75% de vin de base issu de la dernière vendange et 25% de vins de réserve issus des 2 millésimes précédents.

RH – Combien de temps de vieillissement accordez-vous aux champagnes de la gamme des majeurs?

HADRIEN MOUFLARD – Chez Champagne AYALA, nous doublons systématiquement les minimums légaux prescrits par l’appellation. Toutes nos cuvées non-millésimées vieillissent en moyenne 3 ans sur lies avant d’être commercialisées, voire 4 à 5 ans pour le Brut Nature.

RH – Pour exprimer le style Ayala dans les cuvées prestige millésimées,  l’équipe ne dispose pas de vins de réserve de plusieurs années. Comment s’y prend-elle?

HADRIEN MOUFLARD – Un champagne millésimé demeure un vin d’exception, une petite proportion de notre volume de production global. L’idée est d’exprimer le caractère propre d’une vendange d’exception. Il est important de bien comprendre et de respecter les caractéristiques de l’année pour permettre au vin qui sera élaboré de les retranscrire au mieux. Nous sélectionnons donc avec beaucoup de rigueur et de soin les lots qui entreront dans la composition de nos cuvées millésimées.

RH – Le temps de vieillissement est-il plus long?

HADRIEN MOUFLARD – Oui: ici aussi, nous doublons le minimum légal prescrit par l’appellation, établi à 36 mois. Nos cuvées millésimées passent donc de longues années à vieillir avant d’être mises en marché: un minimum de 6 ans pour notre Blanc de Blancs et de 8 ans pour notre cuvée de prestige, Perle d’Ayala.

RH – Depuis 2014 Ayala se concentre sur quelques cuvées?

HADRIEN MOUFLARD – Nous avons effectivement fait le choix de rationnaliser notre gamme en 2014, en nous concentrant sur 5 cuvées principales: 3 non-millésimés (Brut Majeur, Rosé Majeur, Brut Nature) et 2 millésimés (Blanc de Blancs et Perle d’Ayala). Mais nous ne nous interdisons pas de faire des éditions limitées, comme notre nouvelle cuvée éphémère: Rosé N°8 !

RH – On dit que vous avez deux kilomètres de cave. Combien de bouteilles y vieillissent lentement?

HADRIEN MOUFLARD – Près de 3 millions de bouteilles vieillissent en ce moment dans nos caves. Notre plus vieille bouteille date de 1914!

RH – Combien de bouteilles commercialisez-vous chaque année et parmi elles combien sont destinées au marchés d’exportation?

HADRIEN MOUFLARD – Nous avons expédié environ 750 000 bouteilles pour l’année 2015, dont près de 60% ont été destinées à l’export qui représentait seulement 20% de nos ventes en 2005. L’internationalisation de la maison est une des grandes réussites de ces dernières années. Nous sommes désormais présents dans plus de 60 pays et continuons à ouvrir chaque année 2 ou 3 nouveaux marchés.

RH – Quelles est la place du Canada et du Québec sur vos marchés d’exportation?

HADRIEN MOUFLARD – Le Canada est un marché assez complexe et morcelé, de par l’existence de monopoles d’État dans presque toutes les provinces. Pour Champagne AYALA, l’essentiel des ventes se fait au Québec, qui se situe dans le top 15 de nos marchés les plus importants à l’export. Les Québécois s’intéressent de plus en plus au Champagne et comme nous avons la chance d’être présents depuis maintenant plusieurs années ici, notre notoriété se développe!

RH –  Merci de m’avoir accordé cette entrevue, HADRIEN MOUFLARD.

HADRIEN MOUFLARD – Je suis très heureux d’avoir pu partager avec vous la passion qui m’anime. J’espère que ces explications vous auront permis de mieux comprendre le projet que nous développons chez Champagne AYALA. N’hésitez pas à nous rendre visite lors de votre prochaine voyage en France, mon équipe et moi seront ravis de vous accueillir!

NOTE DU CHRONIQUEUR

Les lecteurs qui souhaitent connaître plus sur les Champagnes Ayala peuvent consulter mon article: Champagne Ayala, des flacons de rêve!

Roger Huet
Chroniqueur vins et spiritueux
Président du Club des Joyeux
SamyRabbat.com 
LaMetropole.com

À propos de l' auteur

Roger Huet - Chroniqueur vins et Président du Club des Joyeux
Québécois d’origine sud-américaine, Roger Huet apporte au monde du vin sa grande curiosité et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Il considère la vie comme un voyage, de la naissance à la mort. Un voyage où chaque jour heureux est un gain, chaque jour malheureux un gâchis. Lire la suite...