vendredi 29 mars 2024

Les vignes d'Henry Marionnet sont les plus vieilles de France.

Je suis fasciné par les vieilles vignes non greffées de France qui ont survécu au phylloxéra. Elles sont rares, précieuses et fragiles. Je pense à Bollinger qui possédait trois parcelles de vignoble classé Grand Cru, 100% Pinot noir en Champagne et dont aujourd’hui ils n’en reste plus qu’une. Ces vignes ont donné le Bollinger Vieilles Vignes Françaises dont le millésime 1998 n’a produit que 2 190 bouteilles numérotées.

En Champagne toujours, à Oeuilly, la famille Tarlant possède un terroir appelé "Les Sables" avec une vigne ancienne de 100% Chardonnay non greffée pré-phylloxera, avec laquelle elle produit La Vigne d'Antan.

Je pense aussi au domaine Gramenon en Côtes-du-Rhône, dont les ceps centenaires de Grenache noir produisent une des grandes cuvées de la vallée du Rhône : La Mémé, un vin élégant, tout en velours, sur de subtiles nuances de cerise et de réglisse et une bonne concentration d’épices. Ce vin sans soufre reste une des meilleures bouteilles du vignoble français.

Dans la Vallée du Rhône, à Châteauneuf du Pape, Le domaine Les Cailloux de Lucien et André Brunel a des vignes qui ont facilement 80 à 100 ans, à prédominance Grenache.

Dans le Midi-Pyrénées, à Marcillac il y a le domaine de la Mioula qui possède de vieilles vignes centenaires de Fer Servadou, cépage connu aussi comme Pur Mansois. On en tire un vin rouge appelé Terres d’Angles qui est hors du commun.

Dans le Bordelais il y a quelques vieilles vignes franches de pied. La famille Lucin-Douteau possède un minuscule domaine de 0.85 ha nommé Clos Louie en Côtes de Castillon, réputé le plus vieux de Bordeaux. Ce parchet de 125 ans est complanté, comme c’était la règle à l’époque, de Merlot, de Malbec, de Carménère, de Cabernet Franc et de Cabernet Sauvignon. Le vin est mis en bouteille sans filtration. Les Clos Louie sont des vins pleins d’élégance et de finesse.

A St Emilion, le Château de Trottevieille a une parcelle de vignes préphylloxériques de Cabernet franc qui produit un excellent vin hors commerce.

Dans le pays de Loire il y a le domaine de Claude Courtois au cœur de la Sologne à 35 km de Blois qui produit par la méthode ancestrale un vin issu de vieilles vignes de Sauvignon majoritairement franches de pied qu’il appelle Les cailloux du paradis – Quarts .

Il y aussi le domaine de Didier Dagueneau qui avait quelques vieilles vignes et en avait replanté 20 Ha sur pied de Sauvignon. Au moment de sa mort survenue en 1998, ce vigneron constatait que le phylloxera faisait déjà son apparition.

Le Domaine de Charles Joguet à Chinon, produit son Chinon Clos du Chêne Vert, élaboré à partir de vieilles vignes de Cabernet franc qu’on appelle ici Breton ou Berton. Il replante et remplace les ceps, uniquement en sélections massales, provenant de ses vieilles souches du Clos de la Dioterie et du Clos du Chêne Vert. La sélection massale est très ancienne et consiste à choisir les plantes qui semblent les plus intéressantes dans une population et à les utiliser comme semences pour la culture suivante. L'opération est répétée de génération en génération, ce qui permet d'améliorer progressivement les performances de la culture.

Henri Marionnet du Domaine de la Charmoise a acheté en 1998 un vignoble de 0.36 ha de Romorantin dans la Loire, dont les vignes ont 160 ans et sont certifiées les plus vieilles de France. Le Romorantin est issu d’un vieux croisement naturel entre le Pinot blanc et le Gouais blanc originaire de la Bourgogne et planté en Touraine sous François 1er. Les Marionnet sont persuadés que les vignes franches de pied restituent mieux le terroir dans le vin. Dans cette optique, ils ont planté 2 ha de Gamay non-greffé en 1992 et miraculeusement les vignes ont été épargnées par le phylloxera jusqu’à aujourd’hui.

Lorsque Marguerite Aghaby, de l’agence LBV International m’a invité à une dégustation de vins de la maison Henry Marionnet animée par Jean-Sébastien, le fils du propriétaire, je ne me suis pas fait prier. La dégustation avait lieu au restaurant La Colombe, à Montréal. Jean-Sébastien dans la trentaine, est une force de la nature. Il nous a expliqué que l’entreprise familiale s’appelle Maison Henry et Sean-Sébastien Marionnet, et qu’ils sont propriétaires du Vignoble de la Charmoise, de 60 hectares en Touraine. Ils y cultivent le Sauvignon blanc, le Romorentin, le Gamay, le Gamay de Bouze et le Gamay noir. Ils produisent 11 étiquettes de vins : cinq rouges, cinq blancs et un rosé et qu’il avait choisi de nous présenter sept vins. Il nous a parlé de la philosophie qu’il partage avec son père pour faire des vins de plaisir en recherchant la plus grande authenticité et la plus grande pureté possible. Tous les deux sont amoureux de leur terre, de leurs vignes, de leur région, et de leur métier. Tous les raisins qu’ils cultivent sont cueillis à la main, et particulièrement pour le vin rouge. Ils permettent au raisin de faire une fermentation intracellulaire à l’intérieur du grain car les baies de raisin sont gazeuses, il y a du jus et du sucre. Pour les blancs, les grappes sont égrainées à la main et mises en cuves pour une macération pelliculaire pendant 18 heures, ensuite les raisins sont pressés pour une fermentation naturelle dans ses cuves sans utilisation de levure. Les Marionnet prennent des risques pour aller chercher le goût du fruit et rien que cela. Ils laissent agir le raisin.

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Une partie de la presse gastronomique était présente. Nous avons commencé par déguster le Provignage 2008, fait entièrement de Romorantin pré-phylloxérique, qui est un vin avec beaucoup d’arôme. Un vin de race où la minéralité ressent la pureté du terroir composé de silex et de graves. Beaucoup de fraicheur et d’élégance, ample en bouche où s’expriment les parfums de poire, de coing, de fleurs blanches, de miel et de noisettes.

Il faut le boire à une température de 8 à 10°. C’est un vin produit en petites quantités qui n’est pas disponible au Québec.

Nous avons dégusté en deuxième place le Vinifera Sauvignon blanc 2009, de vignes non greffées. Un vin tout en finesse, gras, savoureux. Arômes d’ananas, de citron, de pamplemousse, mais aussi des fleurs d’églantine et d’acacia. En bouche une belle fraicheur et à la fois beaucoup de maturité. (S.A.Q. $ 16,40).

En troisième place nous avons dégusté le Domaine de la Charmoise 2009 blanc, appellation Touraine contrôlée fait de Sauvignon à 100%. C’est un vin issu de vignes greffées, élevé en fermentation intracellulaire en milieu naturel, sans soufre. Belle couleur jaune. Au nez un éventail d’arômes de fleurs mais surtout de fruits tropicaux : mangue, goyave, agrumes aussi. Un vin très élégant, long en bouche. (Disponible en importation privée. $ 17, 95 Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. )

Dans les rouges nous avons dégusté un Gamay, appelé Domaine de la Charmoise 2009 rouge, Belle robe rubis foncé. Très parfumé, fruits rouges, fraise, prune, un peu de tabac, assez minéral, beaucoup d’élégance, complexe, très rond. (SAQ $ 16,40).

Le deuxième rouge était un Vinifera Gamay, issu de vignes non greffées. Il n’existe aucun autre Gamay non greffé dans le monde.

Une explosion d’arômes de fruits : fraise, mûre, céréales. Un vin plein de légèreté, de complexité d’onctuosité et de rondeur. (Importation privée, $24,95 Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ).

Le troisième rouge était un Première Vendange 2009, Gamay. Vigne classique, fermentation sans soufre. Vin qui livre des arômes complexes : cuir, fruits noirs : cerises noires, mûres, cassis. Une grande finesse en bouche et un bel équilibre. (Non disponible au Québec).

Pour finir nous avons dégusté Les Cépages oubliés 2008 fait de Gamay de Bouze, dont le cépage n’est plus autorisé en France. L’art des Marionnet a transformé ce cépage rustique, en un vin complexe, avec un bon nez de cerise, de groseille. Il est encore très tannique mais possède un certain équilibre et il est long en bouche. C’est en quelque sorte la mémoire du passé. (Non disponible au Québec).

Eugenia Plouffe nous a assuré un excellent service de mets. J’ai choisi en entrée un Saumon fumé, accompagné d’un Vinifera Sauvignon blanc 2009, dont le mariage m’a paru excellent. En deuxième plat j’ai choisi du cerf, servi avec riz noir, un soupçon de crème avec brunoise de betterave. Je me suis réservé le droit de déguster les quatre vins rouges pour un feu d’artifice de goûts.

Je dois conclure que les vins des Marionnet sont vraiment charmants, et en blanc comme en rouge ils se boivent aussi bien seuls que dans un bon repas.

Par Roger Huet
Chroniqueur, Président du Club des Joyeux.
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À propos de l' auteur

Roger Huet - Chroniqueur vins et Président du Club des Joyeux
Québécois d’origine sud-américaine, Roger Huet apporte au monde du vin sa grande curiosité et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Il considère la vie comme un voyage, de la naissance à la mort. Un voyage où chaque jour heureux est un gain, chaque jour malheureux un gâchis. Lire la suite...