vendredi 29 mars 2024
Coucher du soleil sur Spring Valley, pris d’un drone Coucher du soleil sur Spring Valley, pris d’un drone

La formidable histoire d’un magicien du vin - Entrevue avec Serge Laville

J’ai rencontré Serge Laville, photographe et œnologue de grand talent, Maître de Chai dans un ranch du désert de l’État de Washington, au nord de l’Oregon, qui m’a accordé cette entrevue:

RH – Serge, vous avez été initié aux grands vins français dès votre tendre enfance. Racontez-nous ce miracle.

SERGE LAVILLE – Roger, j’ai eu la chance d’avoir un grand père, Pierre Blanchard, qui avait une excellente connaissance des grands vins français. Il était le directeur des achats du groupe Felix Potin et le bras droit du président du groupe, qui était André Mentzelopoulos, propriétaire du célèbre Château Margaux. À cette époque, le groupe détenait de nombreuses épiceries fines sur Paris et la région parisienne.

Durand les grands repas familiaux, la joie de mon grand-père était de mettre sur la table de grands vins français, essentiellement des Bordeaux, des Bourgognes et des Champagnes. Ces vins accompagnaient les délices de la cuisine de ma grand-mère.

J’avoue qu’à cette époque, j'étais trop jeune pour boire ces vins et apprécier leur qualité; j'étais plutôt intéressé à construire des modèles réduits en balsa, qui éventuellement pouvaient voler. Mais j'étais fasciné par les étiquettes et le fait que tous ces vins que mon grand-père débouchait avec précaution étaient beaucoup plus vieux que moi. J’avais tout de même, malgré mon jeune âge, la chance de goûter ces vins avec extrême modération, et je me souviens d’avoir eu un penchant pour les vieux Portos et les Champagnes millésimés. Une récente visite chez mon frère m’a permis de goûter à nouveau un Porto de la cave de mon grand-père, millésime 1912, qui était l’année de sa naissance.

RH – Jeune adulte vous rêviez d’être photographe, et en même temps le vin vous attirait.

SERGE LAVILLE –  Après mon service militaire, mon rêve était de faire des photos aériennes. J’ai eu la chance de trouver un emploi dans un magasin de modèles réduits situé à Vienne, dans le nord de la vallée du Rhône. Le modélisme radiocommandé est devenu ma passion et mon métier. J’ai construit à cette époque de nombreux prototypes d’avions et d’hélicoptères capables d’embarquer un appareil photo ou une caméra vidéo. Après quelques résultats décevants au début, je suis arrivé à créer un modèle professionnel en 1990 et j’ai commencé alors un nouveau métier, celui de photographe aérien.

À cette époque, j’adorais cuisiner et accompagner mes repas avec de bons vins. Tous mes amis adoraient les bons vins, et le vin est devenu ma passion. Je voulais comprendre tous ses secrets et j’ai joint le groupe de dégustation «Le Carré de Dionysos», dirigé par Marie-Laure Sylvestre. C’est avec eux que j’ai découvert les régions viticoles françaises et que j’ai eu accès à des vins fabuleux. J’ai appris les différents types de vins et la façon de les vinifier, les caractéristiques des cépages et des terroirs, et j’ai aussi appris à déguster à l’aveugle. Ces connaissances me rendront bien des services plus tard.

RH – Comment avez-vous connu Devin Corkrum Derby, le patron de Spring Valley Vineyard, dans la Vallée de Walla-Walla, et dans quelle mesure il va orienter votre vie?

roger magicien vignoble droneVue aérienne du vignoble de Spring Valley 

SERGE LAVILLE – Lors d’un de mes voyages aux États-Unis, j’ai eu l’occasion de faire une halte à Walla Walla et de rendre visite à une relation de longue date, que j’avais rencontrée autrefois dans le village de Nuits-Saint-Georges, en Bourgogne. Nous sommes en mai 2000 et je profite de mon passage à Walla Walla pour découvrir les différentes caves et déguster les vins locaux. Je suis étonné par l'intensité de ces vins, leur charpente avec de l'équilibre et de la fraicheur. Il y a alors 2 étiquettes qui me semblent très intéressantes: Cayuse et Spring Valley Vineyard. Je rencontre Christophe Baron de Cayuse et Devin Derby de Spring Valley la même semaine et je suis stupéfait par leurs vins.

Je me rends compte de la possibilité d’une nouvelle carrière pour moi. J’ai une bonne connaissance du vin, mais très peu d'expérience, et je me dis: «Tout est possible, c’est l'Amérique!» En plus, pendant mon premier séjour à Walla Walla, j’ai fait la rencontre de Madeleine, qui deviendra mon épouse deux ans plus tard.

RH – Vous retournez à Walla Walla un an plus tard et là, vous scellez votre destin.

SERGE LAVILLE – Oui, je revois Devin Derby dans un restaurant de Walla Walla où je travaille comme cuisinier. Il m’invite au ranch et me fait goûter les millésimes 1999 et 2000. Ces vins sont fabuleux, avec beaucoup d'énergie. En plus, Devin est un photographe qui a beaucoup de talent. Je me rends compte que c’est un homme très débrouillard, un peu comme moi. Il est capable de tout faire avec ses mains et n’a peur de rien. Nous sympathisons et en 2002, il me propose un travail à temps partiel. Je deviens vite le premier ouvrier de cave de Spring Valley et j’en suis fier.

J’abandonne finalement la photographie aérienne, car je sens que l’avenir de cette profession est compromis par la possibilité de l’invasion des drones grand public, que l’on commence à voir dans les salons professionnels.

RH – Que faites-vous au début, au ranch Spring Valley Vineyard?

SERGE LAVILLE – J’apprends beaucoup avec Devin. Je fais beaucoup de nettoyage, je m’occupe de la maintenance des machines, de pomper les vins des fûts en cuves, et vice-versa; c’est moi qui sulfite les barriques. Je suis définitivement, l’ouvrier de cave, l’homme à tout faire, le «col bleu», mais l’ambiance et le lieu sont fantastiques. Je me rends compte que le travail du vin est difficile et délicat et que les employées doivent être à la hauteur de la tâche. Les conditions sont parfois très dures, avec des écarts de température qui passent de +40 à -30 degrés Celsius et il n’est pas question de se plaindre.

RH – Devin décède en 2004 mais avant, il a eu le temps de vous initier à tous ses secrets de la vigne et du vin.

SERGE LAVILLE – Oui, j’ai passé 3 vendanges avec Devin et sa femme Mary. Pendant les vendanges de 2004, il commence à me faire confiance et il me laisse faire le vin, car il est très occupé avec la paperasserie et passe beaucoup de temps dans son bureau. Même si je n’ai aucune nomination à l'époque, je deviens petit à petit le «responsable du chai». La production augmente de 900 caisses en 1999 à 2500 caisses entre 2000 et 2003 et à presque 4000 caisses en 2004. Je travaille à plein temps pendant les vendanges et plutôt à mi-temps le reste de l'année.

roger magicien vendanges

RH – Son départ vous plonge dans la tristesse, mais vous décidez de rester pour poursuivre son héritage. En 2005 vous êtes nommé Maître de Chai.

SERGE LAVILLE – Après le décès de Devin, j’ai décidé de continuer à travailler pour Spring Valley. Je me sentais à la hauteur pour faire les vins, mais je n’avais aucune idée de la partie administrative. Dean Derby embauche un nouveau «Winemaker» pour remplacer Devin. Nous travaillons ensemble pour les assemblages du millésime 2004 et nous mettons en bouteille le fabuleux millésime 2003. En juillet 2005, Château Saint Michelle devient notre partenaire, je deviens un des employés du groupe et on me nomme «Assistant Winemaker».

RH – Votre effort et votre talent portent des fruits assez vite et dès mai 2009 vous êtes nommé Vigneron du mois par le Wine Business Monthly.

SERGE LAVILLE – Oui, je me rappelle, cela m’a fait très plaisir. C’est toujours agréable de voir une reconnaissance de l’effort de l'équipe de Spring Valley. Le métier de vigneron n’est pas aussi facile qu’il paraît. Il y a sans cesse quelque chose à faire ou à réparer. Il faut constamment goûter pour prendre les bonnes décisions. Il faut s’adapter au changement du climat. Il faut être à l'écoute de ses clients et de leurs remarques sur les qualités qu’ils recherchent. Le monde du vin est en constante évolution et il faut souvent se remettre en question. Enfin, lorsqu’on est vraiment un amoureux du vin comme moi, on ne prend pas ce métier à la légère.

RH – Est-ce que votre épouse Madeleine et vos deux jeunes filles, Claire et Anna, aiment la vie de vigneron?

roger magicien familleSerge avec sa femme Madeleine et leurs filles, Claire et Anna 

SERGE LAVILLE – La vie de vigneron est une vie très intense mais vous savez, Roger, quand vous aimez votre travail, tout le reste va bien mieux. J’ai toujours été à la recherche de trouver des emplois que j’aime pour trouver un bon équilibre dans ma vie et celle de ma famille. Mes parents ne m'ont jamais poussé à devenir avocat ou médecin, ils m'ont plutôt suggéré de faire ce qu'il me plait, mais de façon sérieuse. Je travaille très dur et je ne compte jamais mes heures, mais au bout du compte, cela me donne une très bonne énergie dans ma vie de couple et de parent. J’ai reçu une bonne éducation, mes parents sont très cultivés. La politesse, le respect, les manières, sont très importantes pour moi. Mon père était comme moi très pris par son travail, mais il a toujours pris le temps de m’apprendre des choses et je fais de même avec mes enfants. Mes parents m'ont appris que le travail est très important dans la vie et que rien n'est gratuit. Il faut travailler pour gagner son pain. Lorsque mes enfants et Madeleine se plaignent parfois de mes voyages d’affaires un peu trop longs, je leur réponds: «Cela fait partie du métier».

RH – Peut-on vraiment dire que Walla Walla est un désert? Parlez-nous du climat, de l’hydrographie et de sa configuration géographique.

SERGE LAVILLE – En fait, la ville de Walla Walla est un petit oasis au milieu du désert. Toute la verdure de Walla Walla repose sur une irrigation intense. La traduction du mot des amérindiens est «Many Water». Le climat est définitivement désertique. Durand l’été les journées sont ensoleillées, chaudes et sèches, mais les nuits sont fraîches. Nous sommes plus proches du climat de l'Afrique du Nord que de celui de Bordeaux, même si nous sommes sur la même latitude. La vallée de Walla Walla est relativement plate. À l’est, il y a les «Blue Mountains» qui nous apportent un peu de nuages et de brouillard durant les froids hivers. Au nord, ce sont les «Palouse Hills», un paysage ondulant qui a une moyenne de 600 mètres d’altitude. Spring Valley est situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Walla Walla. Au sud, nous sommes déjà en Oregon avec des vignobles plantés sur des terrains caillouteux. À l’ouest, il y a des terres plus froides avec très peu de vignobles.

RH – Présentez-nous le fondateur Uriah Franklin Corkrum et sa femme Katherine, qui ont quitté le Far West pour s’établir à Walla Walla.

SERGE LAVILLE – Uriah était propriétaire d’environ 1214 hectares de terre, dans les années 1900. Comme d’autres fermiers il cultivait le blé. Sa première femme est morte pendant un accouchement. Il épousera Katherine un peu plus tard. C’étaient des pionniers qui probablement ne se plaignaient jamais et travaillaient très dur.

RH – Le ranch de Spring Valley a produit du blé pendant plus d’un siècle. Quand se transforme-t-il en domaine vinicole?

SERGE LAVILLE – La première plantation de vigne date de 1993, avec 1 hectare de Merlot. C’est le début d’une grande histoire. En 1995, 10 hectares seront plantés en Merlot et en Cabernet Franc. En 2000, le vignoble totalise environ 16 hectares et de nouveaux cépages sont ajoutés: Syrah, Cabernet Sauvignon et Petit Verdot. En 2007, le vignoble s’élargit à 26 hectares.

RH – Quelle est la configuration du ranch actuellement, en extension et en production de blé et de raisin?

SERGE LAVILLE – Environ 365 hectares de blé et 45 hectares de raisin.

RH – Avec quels cépages avez-vous commencé à vinifier et quels sont ceux que vous développez présentement?

SERGE LAVILLE – Le premier vin, c’est l’Uriah 1999, un assemblage de Merlot, de Cabernet Franc et de Petit Verdot, qui étaient plantés dans le vignoble. Actuellement, nous travaillons beaucoup le Malbec, la Syrah et le Viognier. D’autres cépages importants du vignoble sont le Cabernet Franc, le Cabernet Sauvignon et le Merlot.

RH – Quel type agriculture préconisez-vous et pourquoi?

SERGE LAVILLE – Nous pratiquons une agriculture durable, mais non biologique. Les vendanges sont uniquement faites à la main, car nous voulons limiter le triturage et les niveaux trop élevés de tanin. Nous pratiquons parfois des vendanges vertes quand cela s’avère nécessaire. J’aime avoir un feuillage intense au-dessus des fruits; cela donne de l’ombre au fruit pendant les longues journées ensoleillées. Par contre, lorsqu’on ne laisse pas des feuilles trop proches des fruits, cela favorise une bonne circulation d’air et évite les maladies.

roger magicien vendanges manuellesVendanges manuelles à Spring Valley 

RH – Vous travaillez votre vignoble avec minutie.

SERGE LAVILLE – Beaucoup de travail est fait à la main. Même si les machines sont de bonne qualité, rien ne remplace l’œil et le cerveau humains. Il ne faut pas oublier que le vin est une relation entre l’homme et la nature, et si nous retirons l’homme et le remplaçons par des machines, le vin perd son âme. Nous avons la même équipe dans les vignes depuis 20 ans. Cette équipe est à l'écoute du vignoble, elle connait parfaitement presque chaque plant de vigne. Notre succès repose sur cette équipe expérimentée qui travaille souvent dans des conditions difficiles. Lorsque je bois un verre de Spring Valley, j’ai toujours une pensée pour ces gens qui restent dans l’ombre.

RH – Quelle est votre philosophie en tant que winemaker, sur les levures, le bois et la chimie?

SERGE LAVILLE – Je suis un traditionaliste et je respecte le travail des anciens. Les techniques modernes de vinification sont primordiales pour les grosses productions de vin et elles permettent d’obtenir une excellente qualité à moindre coût. Mais nous sommes une petite cave et employer ces techniques modernes ne nous permettrait pas de nous différencier des autres. Le but ultime, pour moi, c’est de créer un vin haut de gamme, sur mesure et unique.

Donc, ma philosophie c’est: «Moins d’intervention c’est mieux». Vendanges manuelles uniquement. Pour les fermentations alcooliques nous vinifions soit avec nos propres levures naturelles, soit avec des levures sèches réhydratées qui proviennent d’un vendeur de bonne réputation. Si nous utilisons des activateurs de fermentation; ils sont composés à 100% de levures œnologiques inactivées: c’est une nutrition organique d’origine biologique et non une nutrition inorganique de synthèse chimique.

Le bois est important, mais il ne doit pas dominer. Nous l’utilisons avec précaution. Trop de bois, ou de mauvais bois, peut ruiner nos efforts à créer un vin équilibré. Selon les cépages et le millésime, nos vins contiennent entre 10 et 50% de bois neuf. Tous nos fûts sont français et ont une capacité entre 225 et 500 litres. Aucun copeau de bois ni de poudre de bois n’est ajouté.

Pour la fermentation malolactique, tout est naturel, rien n’est ajouté. Toutes nos fermentations sont faites à température ambiante de cave, rien n’est réchauffé. Les cuves se réchauffent naturellement pendant les fermentations. Il n’y a aucun pompage, tout se fait par gravitation. Les fruits sont éraflés, mais non écrasés. Nous rajoutons une certaine quantité de rafles sur certaines fermentations et certains cépages pour aider les levures. L'acidité sur tous nos vins est naturelle, sans aucune addition d’acide. Pas de rajout d’eau non plus, ni d’addition de sucre, de tannins, de couleur ou d’autres choses. Pas de collage, ni de filtration pour les rouges. Nous ne filtrons que les blancs et les rosés.

Le pigéage se fait à la main 2 fois par jour, et l’ouillage de toutes les barriques, une fois par semaine. Les fermentations malolactiques finissent généralement en janvier dans un cellier à peine chauffé. Tout est très lent, si l'on compare notre méthode de travail aux vins industriels. Notre procédé est lent, difficile et coûteux, mais nous sommes dans le haut de gamme.

roger magicien equipe chaiL’équipe au chai: Kate Derby, Allan Crum et Serge Laville 

RH – Vous avez apporté aux vins de Spring Valley une touche très française dans l’élégance et la finesse, laissant de côté l’opulence et la puissance propre aux vins de climat chaud. Bien que Bourguignon, n’imprimez-vous pas une griffe plutôt bordelaise à vos vins?

SERGE LAVILLE – Vous êtes un bon dégustateur. J’ai été très influencé par les vins de Bordeaux. Grâce à la cave de mon grand-père, et plus tard à mes propres finances, j’ai eu l’occasion de goûter presque tous les grands Bordeaux, du millésime 1955 à 1995. Donc c’est vrai, ma palette est influencée surtout par les vins de Bordeaux. De plus, à Spring Valley, nous nous focalisons surtout sur des assemblages à base de cépages bordelais. Voilà pourquoi votre remarque est correcte: il y a beaucoup d’influence bordelaise dans nos vins.

RH – Combien de sortes de vins produisez-vous actuellement?

SERGE LAVILLE – Une dizaine: Le seul blanc, c’est le Viognier, 1er millésime en 2016, environ 200 caisses.

Nous avons un rosé de Cabernet Franc avec peu d’alcool, 11,5% alcool, 1er millésime 2016, 200 caisses.

L’Uriah est un assemblage à base de Merlot et de Cabernet Franc, 1er millésime 1999, environ 3000 caisses.

Le Frederick est un assemblage à base de Cabernet Sauvignon, 1er millésime 2001, environ 3000 caisses.

Le Katherine est généralement 100% Cabernet franc, 1er millésime 2007, 600 caisses.

Le Sharilee 100% Petit Verdot, 1er millésime 2010, 200 caisses.

Le Muleskinner 100% Merlot, 1er millésime 2001, 400 caisses.

Le Derby 100% Cabernet Sauvignon, 1er millésime 2001, 400 caisses.

Certaines années, nous produisons un Malbec, 1er millésime 2014, 200 caisses, et une Syrah avec moins d’alcool et beaucoup de rafle, un peu dans le style de Côtes du Rhône, 1er millésime 2014, 200 caisses. Voilà, nous sommes occupés.

RH – Quelle est votre production, en nombre de bouteilles?

SERGE LAVILLE – Environ 10 000 caisses par an, soit 120 000 bouteilles

RH – Quels sont vos principaux marchés étrangers?

SERGE LAVILLE – Très peu d’exportation. Nous sommes distribués au Canada et au Royaume-Uni. Les volumes sont encore petits.

RH – Lorsque Spring Valley Vineyard est venu intégrer le groupe Ste Michelle Wine Estates en 2005, est-ce que cela s’est bien passé?

SERGE LAVILLE – Le partenariat avec le groupe Ste Michelle est fantastique. Le groupe ne «touche pas» à cette perle. Tout reste intact: mêmes employés, même philosophie, très peu de changements et beaucoup d’investissement et d'amélioration. Je suis encore impressionné par ce groupe. Ce sont des leaders, quand on parle de rapport qualité-prix. Le groupe fait extrêmement attention à conserver les différences entre chaque cave et ne veut surtout pas se retrouver à vendre un même produit sous différentes étiquettes, ce qui serait contraire à leur philosophie et à leur prestige. Jamais un de mes supérieurs ne m’a dit ce que je devais faire. Ils sont là pour nous aider en cas de pépin, mais préservent par-dessus tout notre indépendance. Pour preuve, goûtez nos vins; ils sont totalement différents de ceux des autres caves.

RH – L’esprit de famille et des traditions semblent avoir été toujours très forts chez les Corkrum; il suffit de lire les étiquettes des vins.

SERGE LAVILLE – Oui, c’est très important pour Dean et Shari. Le respect des ancêtres et leurs efforts, le respect des terres que les générations passées ont cultivées. Mon assistante Kate Derby Raymond est une de leurs petites filles. Elle apporte la touche familiale féminine dans l'équipe plutôt masculine. Elle a développé une excellente palette, connait les vins à la perfection et aide aux nombreuses tâches: travail de cave, traçabilité, relations publiques… Nous sommes une petite équipe et l’ambiance est parfaite. C’est très important pour le produit final, si les employés sont heureux dans leur travail. Je considère que j’ai réussi mon devoir de manager et je peux vous assurer que les vins sont probablement meilleurs grâce au bon moral des troupes.

RH – J’aimerais que nous dégustions ensemble cinq de vos vins les plus représentatifs, en commençant par: Spring Valley Vineyard Uriah Walla Walla Valley 2014, 56% Merlot, 48% Cabernet Franc, 4% Petit Verdot, 2% Malbec, 14,3o d’alcool. L’étiquette exhibe le portrait du fondateur.

roger magicien uriah

SERGE LAVILLE – C’est un assemblage de Merlot-Cabernet franc. Le premier millésime date de 1999. C’est le vin le plus difficile à produire. Les quantités varient en fonction des millésimes, car le Merlot est très sensible au froid (perte de rendement dans les années de gel) et surtout au chaud (qualité médiocre pendant les vendanges trop chaudes). Nous passons énormément de temps sur cet assemblage, et je dois dire que ce vin bénéficie des meilleurs lots de Merlot et de Cabernet Franc. Nous utilisons les lots les plus complexes avec un maximum de caractéristiques des cépages et du terroir. Nous essayons également de le bâtir pas trop fort en alcool. Ce vin est généralement assemblé avec beaucoup de parcelles de vignes plantées entre 1995 et 2001. Élevé 18 mois en fût de chêne de 225 litres.

RH – Magnifique robe rouge profond, avec des reflets d’améthyste. Bouquet très gourmand de cassis, de cerise rouge, de framboise et de fraise, un soupçon de violette et de pruneau, un deuxième nez apporte des épices douces: cardamone, cannelle, et même un peu de cuir.

En bouche, c’est un vin ample, avec une texture onctueuse, des tanins soyeux, une acidité agréable apportée par la fraicheur du Cabernet Franc. Une finale légèrement épicée qui caresse avec élégance. Un vin de longue garde qui sera à son meilleur en 2022.

Quels mariages proposez-vous avec ce vin, suggérez-vous de le carafer et à quelle température aimez-vous le servir?

SERGE LAVILLE – Le Canard et l’agneau rôti accompagnent parfaitement ce vin. Ouvrez la bouteille quelques heures avant le repas, et servez-le à environ 16-17 degré Celsius.

Le Spring Valley Vineyard Uriah Walla Walla Valley 2014 n’est pas disponible au Québec pour le moment.

RH – Je suggère que nous dégustions maintenant votre Spring Valley Vineyard Katherine Corkrum Walla Walla Valley 2013, 100% Cabernet Franc, 14,1o d’alcool. L’étiquette montre le portrait de la seconde épouse du fondateur.

roger magicien katherine corkrum

SERGE LAVILLE – Le premier millésime date de 2007. Je revenais d’un voyage en France, dans le village de Chinon, en Val de Loire. L'appellation Chinon est 100% Cabernet Franc. La qualité du Cabernet Franc à Spring Valley a toujours été excellente. Il me restait quelques barriques non utilisées après avoir fait tous les assemblages. Un petit coup de fil au boss et voilà, nous avons créé une nouvelle étiquette.

Ce vin est surtout assemblé avec des parcelles de vignes plus jeunes, plantées en 2007. Nous voulons beaucoup de fruit avec une touche de verdure. Nous élevons ce vin 18 mois en fûts de 225 et 500 litres avec un minimum de bois neuf.

RH – Robe rouge foncé, reflets violets. Bouquet de feuille de cassis froissée, de framboise, de fraise, de violette, et une touche de réglisse et de poivre.

Ample et onctueux en bouche, charnu, souple, élégant, bien balancé, des tanins abondants mais fins, une matière fruitée riche. Une longue finale extrêmement gourmande. Un vin de longue garde qui sera à son meilleur en 2020.

Quels mariages proposez-vous?

SERGE LAVILLE – Il est parfait avec la charcuterie, le saucisson en brioche, des fromages avec du pain de campagne. On doit le servir à environ 15-16 degré Celsius. Ouvrez les bouteilles quelques heures avant de servir.

Spring Valley Vineyard Katherine Corkrum Walla Walla Valley 2013 est disponible en IP chez Galleon, code 102744QC-STK. Prix 89$ la bouteille de 750 ml, en caisse de 6.

RH – Dégustons maintenant le Spring Valley Vineyard Frederick Walla Walla Valley 2013, 80% Cabernet Sauvignon, 10% Cabernet Franc, 10% Merlot, 14,4o d’alcool. Frederick, c’est Frederick Corkrum, le deuxième fils d’Uriah et de Katherine, très attaché à sa famille, à sa ferme, et passionné de football.

roger magicien frederick

SERGE LAVILLE – Le premier millésime est le 2001. C'est un vin plus angulaire et musclé. Définitivement un vin de garde. Nous essayons toujours de mettre un maximum de Cabernet Sauvignon dans cet assemblage, cela varie de 55% à 80%, selon le millésime. Après nous essayons d'inclure du Merlot et du Cabernet Franc et de trouver le bon équilibre. C'est un vin plus impressionnant que l 'Uriah, mais je pense que l 'Uriah est plus complexe, surtout avec un bon accord avec les mets.

RH – Robe rouge foncé, belle et sombre. Bouquet de cassis, de cerise noire, d’épices, de cèdre et de poivron vert. On remarque aussi des notes de réglisse, de moka et de boîte à cigares.

En bouche c’est un vin ample, puissant, avec des tanins abondants mais veloutés, une masse fruitée et agréable qui est accompagnée d’une jolie fraîcheur. Une très longue finale savoureuse. Il sera à son zénith vers 2023.

Quels mariages proposez-vous?

SERGE LAVILLE – C'est une bonne idée de carafer ce vin puissant. Il se marie très bien avec le bœuf, les plats en sauce, le filet mignon. Servez-le entre 16 et 18 degrés.

Spring Valley Vineyard Frederick Walla Walla Valley a obtenu le 39e rang lors du classement 2017 du TOP 100 du Wine Spectator.

Il est disponible à la SAQ, code 13221617, en Spécialité par lots, Espace cellier. Prix 80$.

RH – Dégustons maintenant le Spring Valley Vineyard Nina Lee Walla Walla Valley 2012, 100% Syrah, 14,5o d’alcool.

Remarquons que les vins hommage aux hommes de la famille sont souvent des vins d’assemblage et les vins hommage aux femmes sont plutôt des monocépage.

Nina Lee Moore a été l’épouse de Frederick. C’était une artiste, danseuse de vaudeville, qui s’est produite dans les théâtres du nord-ouest du Pacifique. Frederick la remarque en 1928 et l’épouse l’année suivante. On dit que ce fut un mariage heureux.

roger magicien nina lee

Robe rouge intense, reflets de saphir. Bouquet de violette, de myrtille, de cassis, de cerise noire, de mûre, de cacao, de poivre et de vanille.

Ample et fruité en bouche, avec des tanins soyeux, un bel équilibre entre l’acidité et l’alcool. Une finale longue et fraîche. Un vin avec beaucoup de charme et d’élégance. Il a de belles années devant lui.

Quels mariages proposez-vous?

SERGE LAVILLE – Il faut le carafer. Nous sommes sur une année très concentrée, avec beaucoup de tannins. Servez le relativement frais entre 15 et 16 degrés pour que l'alcool ne domine pas.

Il se marie très bien avec la viande de gibier ou un bon méchoui, car ce vin aime l’agneau rôti à la broche, sur les braises d'un feu de bois.

Spring Valley Vineyard Syrah Nina Lee, millésime 2012 est disponible en IP chez Galleon, code 102186QC-STK. Prix 90$ la bouteille de 750 ml, en caisse de 6.

RH – Nous allons finalement déguster le merveilleux Spring Valley Vineyard Derby Walla Walla Valley 2015, 100% Cabernet Sauvignon, 14,5o d’alcool. Le nom de Derby s’est incorporé au domaine des Corkrum lorsque Dean Derby a épousé en 1954, Shari, petite-fille d’Uriah Corkrum, le fondateur. Il est très important dans l’histoire du domaine, car c’est Dean qui y a implanté la vigne en 1993.

roger magicien derby

SERGE LAVILLE – Premier millésime en 2001; l'idée c'était de faire un monocépage de Cabernet Sauvignon, un vin de longue garde. Nous sélectionnons toujours le plus beau lot de Cabernet Sauvignon. Pas le plus impressionnant, mais le plus équilibré, pas trop tannique, et nous recherchons une grande longueur de bouche et des arômes puissants. Le vin passera 20 mois en fûts de 225 litres, dont 50% neufs. Ce vin comporte les raisins d’un lot situé à 600 mètres d'altitude, qui est vendangé très tard. Nous limitons cette étiquette à 400 caisses par an, soit 4800 bouteilles.

RH – Robe rouge intense, avec un cercle bleuté. Arômes mûrs de cassis et de cerise noire, mais aussi de cèdre et d’épices. Un second nez nous dévoile des notes de réglisse, de moka et de vanille.

En bouche c’est un vin ample, généreux, puissant, avec des tanins très intéressants, une belle fraîcheur; la masse fruitée et épicée est gourmande. Une très longue finale.

Un vin de gastronomie qui va se conserver au moins jusqu’en 2027.

Quels mariages proposez-vous?

SERGE LAVILLE – Pour moi il est parfait avec un canard à l'orange, des paupiettes de veau, des plats en sauce. Il faut le carafer à l'avance si possible. Servir frais, à 15 ou 16 degrés.

Spring Valley Vineyard Derby Walla Walla Valley n’est présentement pas disponible au Québec.

RH – La production de vins aussi exceptionnels vous demande, je suis sûr, énormément de temps, de surveillance et de patience. Avez-vous encore le loisir de pratiquer la photographie ou d’avoir d’autres occupations?

SERGE LAVILLE – Oui, je passe la plupart du temps à travailler, mais en même temps, je vous l'ai dit, il ne faut pas compter les heures, dans ce métier. C'est de la haute couture, il faut prendre son temps, ou faire autre chose. Si vous décidez de travailler vite (surtout pendant les vendanges), vous pouvez faire de bons vins, mais jamais des vins exceptionnels. Il faut choisir quantité ou qualité. Il est très rare de pouvoir faire les 2 à la fois.

J'ai une très bonne équipe qui m'épaule. Kate a joint l'équipe en 2011 et Allan Crum en 2014. Ils font tout le travail de cave. Ce sont des gens passionnés comme moi. Je leur donne une bonne marge de manœuvre, car c'est très important d'avoir une équipe soudée. Je ne veux pas qu'ils viennent au travail sans enthousiasme. Je veux qu'ils soient motivés; c'est comme cela que l'ont fait des vins supérieurs, avec une équipe gagnante.

Il y a toujours des moments de l'année où les vins demandent un peu moins d'attention. Entre les mises en bouteilles et les vendanges, c'est un peu plus calme et là j'en profite pour m'occuper de mes voitures anciennes (allemandes et irlandaises des années 1970 à 1985), j'adore travailler le bois aussi et m'occuper du jardin potager. Et puis il y a de très bons drones pour faire de la photographie sur le marché, maintenant. Je n'ai pas pu résister à en acheter un, mais je suis très content de travailler dans le vin, car presque tout le monde peut aujourd’hui faire mon ancien métier de photographe avec un minimum d'investissement.

RH – Merci, Serge Laville, de m’avoir accordé cette entrevue.

SERGE LAVILLE – Merci Roger, ce fut un plaisir de vous rencontrer. Vous posez de très bonnes questions, et j'aime la façon dont vous décrivez nos vins. Vous avez du talent.

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Roger Huet
Chroniqueur vins et spiritueux
Président du Club des Joyeux
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À propos de l' auteur

Roger Huet - Chroniqueur vins et Président du Club des Joyeux
Québécois d’origine sud-américaine, Roger Huet apporte au monde du vin sa grande curiosité et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Il considère la vie comme un voyage, de la naissance à la mort. Un voyage où chaque jour heureux est un gain, chaque jour malheureux un gâchis. Lire la suite...