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Champagne - Entre record de vente et doute sur son modèle

Champagne - Entre record de vente et doute sur son modèle

Les chiffres viennent d’être dévoilés par l’interprofession champenoise. 2017 établit un nouveau record de chiffres d’affaire mais cette bonne santé affichée ne cache-t-elle pas des maux qui pourraient être mortifères pour certains en Champagne? 

Qui n’a pas, au cours de cette année 2017, ouvert une bouteille de Champagne? Qui n’a pas fêté une naissance, un examen scolaire, une promotion professionnelle ou a simplement ouvert une bouteille aux bulles fines pour un apéritif entre amis? La réponse est dans les chiffres et pourtant…

Encore un nouveau record ! La filière champagne a publié ce lundi un chiffre d'affaires global de 4,9 milliards d'euros pour l'année 2017. Soit une hausse de 3% par rapport à son précédent record de 2015 (4,75 milliards) et de 4% par rapport aux ventes de 2016 (4,71 milliards). Quelque 307,3 millions de bouteilles ont ainsi été écoulées, soit 0,4% de plus qu'en 2016, selon le Comité champagne.

Les ventes ont été portées par les exportations, en hausse de 3,5% à 153,6 millions de bouteilles. Ce sont surtout les pays hors de l'Union européenne qui tirent le marché, avec une progression de 9% sur l'année pour atteindre 77 millions de cols équivalent 75 cl. Le marché européen accuse, lui, une baisse de 1,3% avec 76,6 millions de bouteilles.

Les États-Unis, certains pays d'Asie et l'Australie tirent notamment les ventes, précise Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons (SGV) et coprésident du Comité Champagne, cité par France Bleu Champagne-Ardennes,  avant que soient publiées, mi-mars, les données précises par pays.

Une ombre au tableau toutefois, le marché français n'est pas reparti en 2017, au contraire. Après une baisse de 2,4% en 2016, l'activité a encore davantage reculé l'an dernier, de 2,5%, à 153,7 millions de bouteilles. Pour la première fois, il s'est donc vendu quasiment autant de flacons en France qu'à l'étranger.

Mais si les maison de négoces résistent quelque peu, ce sont les vignerons qui enregistrent la plus grande chute de leurs ventes. « Entre 2007 et 2016, les vignerons ont perdu environ 25% de leur volume expédié », relève Aurélie Ringeval-Deluze, professeure d’économie et de gestion spécialisée dans l’économie du vin à l’université de Reims Champagne-Ardenne, rapporte l’AFP. Sur un an, ils ont perdu 2.5 millions de bouteilles commercialisées. 

« Ce qui coince, c’est que le marché français est difficile, concurrentiel… Or, 80% du champagne de vignerons est vendu en France », souligne Maxime Toubart, le président du Syndicat général des vignerons de la Champagne. 

Face à cette contrainte, couplée au morcellement du vignoble champenois qui fait diminuer la taille des exploitations, de nombreux viticulteurs préfèrent vendre tout ou en partie de leur récolte aux négociants, une solution rentable avec un prix du kilo de raisin qui oscille « entre 5 et 8 euros, » indique-t-il. 

Reste que l’inflation du prix du Champagne ces dernières années est une explication majeure et l’offensive menée par les Créments telles que la Loire, la Bourgogne ou l’Alsace a fait quelques dégâts sur le marché national grâce à un rapport qualité prix remarquable et remarqué par un nombre croissant de consommateurs. Ajoutons à cela le Proseco italien qui n’en finit plus de battre des records et le Cava Espagnol aujourd’hui bien installé dans la grande distribution et qui continue de rencontrer un succès toujours plus confirmé. 

Une timide réaction des vignerons 

Pour continuer à commercialiser leurs propres champagnes, certains vignerons décident de se lancer à l’export, stimulés par des ventes en croissance vers les pays tiers (+8,4%). « Environ 50% de ma production, soit 15,000 bouteilles, part aux États-Unis et en Italie, mais aussi en Suède et au Danemark », détaille Benoît Velut, jeune vigneron installé à Montgueux (Aube), qui vinifie 3 hectares sur 7,7 hectares au total et vend le reste au négoce. 

Pour s’adapter à cette nouvelle donne, il a rejoint une association de dix vignerons où chacun apporte son expertise et ses compétences, « un énorme levier parce que je n’ai aucune formation de commercial », reconnaît-il, conscient que la filière est passée « d’une clientèle très locale du temps de nos parents à une clientèle beaucoup plus disséminée en France tandis que l’étranger s’est développé. » De son côté, le Syndicat général des vignerons a créé « des services d’accompagnement, » une marque commune appelée « Les Champagnes de vignerons », propose à ses adhérents de participer à des salons, de suivre des formations en anglais… « Une kyrielle d’actions » pour aider à commercialiser ces champagnes de qualité mais qui « n’enraye pas encore la baisse des volumes », observe le président du SGV. 

Un signe de faiblesse sur le foncier Champenois 

En 2016 pour les AOP (Appellation d’Origine Protégée) française, le prix moyen des vignes s’établit à 140 600 €/ha. Il est globalement stable par rapport à l’an passé. Deux phénomènes expliquent cette stabilité. D’un côté, le prix moyens des vignes AOP hors Champagne progresse de 3,8% pour atteindre 66 500 €/ha et est tiré par la Bourgogne qui elle aussi peut atteindre des prix stratosphériques. De l’autre, celui des vignes en Champagne recule de 2,6% et arrive à 1 113 500 €/ha, soit un différentiel de 30 000 €/ha comparé à 2015. Cette baisse du premier de cordé est la première depuis 1993 et entre 1993 et 2015, le prix des vignes en Champagne avait été multiplié par quatre. Cette contre-performance doit être donc prise avec des pincettes. 

Reste à savoir si sur 2017, la baisse se confirmera ou non. Les professionnels attendent avec impatience les chiffres 2017 que la SAFER devrait publier en mai. Néanmoins un tel prix du foncier pose un vrai problème en matière de succession et est sans aucun doute le motif principal de la baisse du nombre d’exploitants. Cela explique aussi les difficultés à commercialiser en vente directe du fait de petites structures morcelées avec des moyens limités. 

Et le Bio dans tout cela 

Un vent sur l’agriculture bio souffle aujourd’hui sur le marché français et le salon de l’agriculture qui ferme ses portes ce dimanche 6 mars en a été encore le témoin privilégié. 

La viticulture n’échappe pas à cette nouvelle mode des consommateurs urbains et bien des régions ont commencé leur mutation même si le débat perdure sur l’opportunité ou non de faire du bio alors que bien souvent une agriculture raisonnée respecte mieux la plante et le terroir. 

Le champagne bio est un vrai sujet pour les vignerons et les maisons de négoces. La progression des surfaces au label « AB » a bondi de 14% entre 2015 et 2017 et 176 hectares sont en conversion cette année, mais ces chiffres sont en trompe l’œil, la viticulture biologique ne couvre que 1,9% des surfaces de la Champagne sur les 34,000 hectares que compte l’appellation, selon les chiffres de l’Agence Bio. 

Produire bio ne s’improvise pas: « Si on veut faire ça pour mettre un beau logo sur une étiquette, on va vite déchanter » explique Pascal Doquet, vigneron dans la Côte des Blancs et président de l’association des champagnes biologiques créée en 1998. Lui a dû attendre « six ans entre le début de la conversion et la commercialisation des premières bouteilles » certifiées par ce sésame. Cette gageure s’explique par les trois années incompressibles de la conversion, couplée à la durée de vieillissement du champagne plus longue que celle des vins tranquilles, non-effervescents.

Mais aussi, il ne faut pas oublier la variable climatique qui peut affecter la récolte. La Champagne étant marquée par les flux océaniques, le vignoble est exposé à un risque de pourriture lié à l’humidité, faiblesse renforcée par la famille des pinots sensibles à ce phénomène. 

À la lumière de ces explications et compte tenu des enjeux commerciaux, beaucoup vont encore hésiter à se lancer dans l’aventure et les grandes maisons de négoces, pour le moment, si elles en parlent, regardent ce phénomène avec méfiance, le sujet aujourd’hui étant de garantir les volumes pour le marché mondial. La pression des consommateurs sera à suivre dans les prochaines années pour voir ou non l’évolution du label bio dans le vignoble champenois.  

Source: McViti

À propos de l' auteur

Âgé de 45 ans, ingénieur agricole, diplômé de l’IHEDREA (Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Economie Agricole en 1995), j’ai poursuivi mes études par un master de Gestion, Droit et Marketing du secteur Vitivinicole et des Eaux de Vie dépendant l’Université de Paris 10 Nanterre et de l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin - 1997). Lire la suite...