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Canada, Terre de rhum?

Canada, Terre de rhum?

En ce 150e de la Confédération, offrons-nous une incursion sur la petite histoire du rhum et des spiritueux au Canada avec Yan Aubé, formateur et conférencier passionné spécialisé dans les Spiritueux. 

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Yan, où et quand commence l’histoire de la distillation au Canada?

La première distillerie canadienne a vu le jour dans le magnifique comté de Québec en 1769! À l’époque, nous avions les colons qui arrivaient suite à un certain détour dans les Caraïbes. Ils étaient donc très habitués à cette consommation d’eau de vie de mélasse, que l’on appelle aujourd’hui le rhum. 

Quels étaient alors les joueurs de l’industrie et les procédés utilisés?

Bien sûr, à travers l’histoire, ces colons ont malheureusement eu certaines difficultés avec le ravitaillement de mélasse. Vint alors la distillation de grains. En 1799, un certain Molson a d’ailleurs distillé le premier whisky canadien. Puis il y a eu la naissance de la maison Hiram Walker, JP Wiser, Gooderham & Wort, et plus encore.

Quels étaient les spiritueux produits et consommés? Qu’en était-il de l’aspect qualitatif?

Les spiritueux de grains sont vite devenus populaires. Après tout, il était plus avantageux de distiller les grains qui poussaient à même la maison ou à même le comté que d’attendre la mélasse. Bien sûr, en matière de grain, le plus résistant et le plus performant avec nos différents climats est bien sur le seigle. C’est donc pour cette raison que le Canada s’est forgé une réputation solide en matière de whisky de seigle.

De 1769 à aujourd’hui, quelle évolution a-t-on connue au niveau de la distillation/production/consommation au Canada, et particulièrement au niveau des rhums?

Au 19e siècle, le Canada comptait plus de deux cents distilleries! Ce nombre a effectivement chuté avec la sacrée prohibition. Les grandes distilleries ont tout de même réussi à survivre, mais les plus petites, non. Nous avons bien sûr remarqué une certaine renaissance des spiritueux artisanaux dès la fin des années 90. L’un des pionniers fut Michel Jodoin, sur notre terre du Québec. Avec un des plus magnifiques vergers et avec l’un de meilleurs cidres de l’industrie, il est normal que ce dernier tente d’imiter le brandy de pomme français que l’on connait sous le nom de Calvados. Mais la famille Jodoin a bel et bien créé un brandy bien à elle. Un brandy digne de notre terroir. Vint ensuite une popularité phénoménale pour la vodka, ainsi que le gin.

Et c’est normal! Tout d’abord, le consommateur a connu et connait toujours la mode du cocktail. Qui a oublié le très populaire film « Cocktail » de 1988? :) De plus, le Canada a certaines lois rigoureuses en matière de spiritueux. Par exemple, impossible de faire la commercialisation d’un rhum à moins qu’il ait passé un minimum d’un an en barrique! Pour le whisky, on parle de trois ans! Mine de rien… Regarder ses spiritueux vieillir dans des fûts pendant plusieurs mois ne paie malheureusement pas l’hypothèque! Mais cette tendance pour les spiritueux ambrés revient. En matière de whisky, c’est incroyable! Nul besoin de vous nommer tous les clubs ainsi que tout ce qui a trait à cet univers fascinant.

En matière de rhum, eh bien là, la chose est intéressante! Il y a bien sur cet intérêt grandissant qu’on porte au rhum. Cet intérêt qui nous ramène les deux pieds dans le sable. Cet intérêt qui nous fait un peu oublier l’hiver. De ce fait, nous voyons la communauté rhum grandir sans cesse! Il y a les différents clubs de dégustations… Il y a les différents produits qui voient le jour sur nos tablettes… Et bien sûr, il y a ces producteurs ou ces artisans canadiens qui veulent offrir un rhum canadien aux consommateurs.

Depuis quelques années, une tendance nette se dessine avec cet engouement et cette ouverture sentie pour les rhums. Il y a encore beaucoup à faire et les détracteurs affirmeront que le Canada n’est naturellement pas désigné et reconnu comme un joueur clé de l’industrie du rhum. Pourtant, chaque année, motivés par leur passion, des distilleries canadiennes voient le jour et produisent des rhums qui trouvent leur place sur nos marchés. 

Quelle est la situation et la réalité actuelle du rhum canadien?

Bien, tel que mentionné plus tôt, il est difficile pour une jeune distillerie de produire un rhum. De ce fait, le Canada n’offre pas encore de rhum très vieux. Le plus vieux nous provient des distilleries Ironworks (un excellent 5 ans) ainsi que Last Mountain, qui ont produit (en très petite quantité) un 10 ans. Mais pour avoir visité plusieurs distilleries, j’ai vu plusieurs dizaines de différentes barriques avec du rhum en maturation à l’intérieur.

Il est vrai que pour les yeux (ou plutôt les palais) de l’Europe, le Canada ne peut produire de rhum puisque la canne à sucre n’y pousse pas. Cependant, nous produisons de sacrés bons produits et l’avenir sera encore meilleur. Actuellement, il y a plus d’une douzaine de rhum réellement distillés au Canada. Une vingtaine, si nous comptons les assemblages qui ont été faits sur nos terres. 

De quelles origines sont les matières premières utilisées et quelles sont nos méthodes de distillation?

Ouf! Alors ici, il y a plusieurs choses à dire! La beauté des artisans distillateurs ou microdistillateurs est qu’ils ont tous une recette en tête. Bien sûr, nous pouvons avoir droit à de la mélasse verte du Guatemala, une mélasse de la Barbade, une mélasse de la Guyane, et plus encore. Il y a même une distillerie, en Saskatchewan, qui effectue un assemblage avec du jus de canne à sucre et de la mélasse. Il y a aussi certaines entreprises qui produiront une faible quantité de rhum «maison» qu’elles assembleront à un rhum provenant des Caraïbes.

Au niveau des procédés de distillation, encore une fois, tout est relatif à la mentalité, aux valeurs et à la culture de la distillerie. Chaque distillerie a un système et une méthode de distillation bien à elle. Bien sûr, certaines distilleries auront le même système, mais les méthodes seront différentes. Prenons par exemple la distillerie North of 7th, à Ottawa. qui distille le rhum à l’intérieur d’un très petit alambic et qui par la suite le fait vieillir à l’intérieur de barriques neuves. Certaines distilleries distilleront à l’intérieur d’un bon vieux système de type «pot still», alors que j’ai souvent vu des alambics à colonne être utilisés pour la conception d’un rhum.

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Que répondrais-tu aux détracteurs qui d’emblée semblent rejeter la possibilité d’une production de rhum qui se distingue?

On se prend un rendez-vous? J’ai quelques produits à te faire déguster! Non, mais sans farce, je réponds que nous avons entre les mains de magnifiques produits qui peuvent facilement répondre à tous les types de consommateurs.

Un très bel exemple est encore une fois la distillerie North of 7th, à Ottawa, qui produit ce qu’on appelle un Cask Strenght. Ce dernier rappelle un rhum jamaïcain très populaire que plusieurs adorent!

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Que dire de la distillerie Yongehurt, à Toronto, qui produit un brandy de mélasse (rhum blanc) hallucinant aux arômes d’eaux de vie!

Même principe avec la belle distillerie Fils du Roy, au Nouveau-Brunswick. Je pourrais en effet vous dresser la liste de tous les rhums du Canada et vous dire à quel type de consommateurs le tout pourrait aller. N’oublions surtout pas une chose… Les jeunes entrepreneurs qui se lancent dans le domaine de la distillation doivent faire preuve d’une créativité incroyable. Non seulement ils doivent s’adapter aux lois fédérales, mais aussi provinciales. Ils doivent donc se démarquer. Ils doivent donc offrir des produits qui seront différents, tout en offrant au consommateur un rappel de son rhum favori et ce, que ce soit dans un cocktail ou simplement brut.

En terminant, selon ta vision des choses, quel avenir peut-on entrevoir pour les spiritueux et les rhums canadiens?

En matière de spiritueux, le Canada n’a rien à envier à qui que ce soit. Nos gins font les manchettes aux quatre coins du globe. Nos vodkas accumulent des médailles. Nos whiskies sont renommés de façon incroyable. Et nos rhums… Eh bien nos rhums vont effectivement connaitre un succès fou.

Présentement, nous avons accès aux plus jeunes. Présentement, nous avons accès à ce que nous pourrions qualifier de «rhums cocktails» et ces derniers sont tout de même délicieux. Plusieurs d’entre eux remportent déjà de beaux honneurs. Imaginez demain! Imaginez une fois que certaines auront gagné de l’âge. Imaginez une fois que les distillateurs démontreront d’avantage leur créativité!

Je suis très privilégié. Je sais ce que demain nous réserve avec certains produits. Autant au Québec, en Ontario, en Nouvelle-Écosse, et même en Colombie-Britannique. Certains seront pour une clientèle «niche», mais d’autres seront pour la grande majorité des consommateurs. Comme je l’ai souvent dit, il faut d’abord ouvrir notre esprit notre cœur. Il faut d’abord les essayer. Je vous assure que vous ne les aimerez pas tous. Mais c’est pour cette raison qu’il faut vous éduquer. Je dis toujours «il faut savoir pour bien boire!»

Vous pouvez suivre Yan Aubé sur sa page Facebook, ainsi que sur son site : www.yanaube.ca

Gardez l’œil ouvert, une dégustation de rhums canadiens devrait voir le jour très bientôt, en collaboration avec les pirates de Québec Rhum.

 

Annie Des Groseilliers
Consultante Stratégique V&S 
W&S Strategic Consultant
EVolo-Consulting

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À propos de l' auteur

Née au cœur de Montréal, Annie a grandi dans un environnement multiethnique qui allait développer naturellement une ouverture et un intérêt spontané aux diverses cultures. Après avoir fait des études de journalisme à l’Université de Montréal, celle-ci travaille comme journaliste culturelle pour le Magazine Québec Rock. Lire la suite...